samedi 27 décembre 2008

[Présent] Lire le R.P. de Chivré

Article d'Yves Chiron dans Présent du samedi 27 décembre 2008

Le R.P. de Chivré (1902-1984), qui comptait un Croisé parmi ses ancêtres, était un authentique Dominicain, voué d’abord à la prédication.

Jean Madiran, en ouverture du bouquet d’hommages publié dans Itinéraires au lendemain de sa mort, écrivait : « Fidèle aux traditions et à la vocation de son Ordre ; fidèle à la théologie du Docteur commun de l’Eglise, saint Thomas d’Aquin ; fidèle à la dévotion dominicaine à la Vierge Marie, fidèle au chapelet, le P. de Chivré a été persécuté surtout pour son inébranlable fidélité, dans le rite dominicain, à la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne. »

Jean Madiran notait aussi : « Avant d’être persécuté pour sa fidélité à la messe, le P. de Chivré était déjà mortellement suspect pour son amitié militante à l’égard d’Itinéraires. Cette longue amitié militante a commencé avec la naissance de la revue, et le P. de Chivré l’a maintenue jusqu’à sa mort. »

Ses amis et ses disciples spirituels, dont l’abbé Michel Simoulin, publient régulièrement, depuis 2004, sous le titre Carnets spirituels, de petits et élégants recueils de ses prédications, appartenant à différentes époques. Chaque volume comporte cinq ou six sermons ou prédications, regroupés thématiquement. Le dernier Carnet spirituel paru a pour thème « la valeur ».

De plus en plus, le mot valeur est employé comme synonyme d’« opinions » ou de « convictions ». « Nous partageons les mêmes valeurs… », comme on dirait « nous avons les mêmes idées… ». C’est un dévoiement du sens authentique du mot. « La valeur, dit le P. de Chivré dans une de ses prédications, se révèle dans la finale du geste accordée sur la connaissance initiale du beau, bien, bon, vrai qui l’ont inspiré. »

« Retrouver la valeur, c’est renouer avec des données universelles qui nous précèdent : le beau, le bien, le vrai, le bon, qui honorent notre intelligence en la délivrant des prétentions imaginatives à penser l’existence sans référence à ce qui nous précède… »

La valeur implique la reconnaissance de quelque chose qui dépasse, mais qui guide aussi et elle sera liée à la notion de sacrifice : « La valeur ose demander à l’esprit et au cœur des réactions sans salaire d’aucune sorte, des comportements de gratuité qualitative, des gestes de désintéressement charnellement inexplicables, matériellement contradictoires avec l’intérêt, le corps, le sexe, l’animalité. »

Valeur et verticalité commencent toutes deux par la même lettre, avec l’idée d’infini qui s’attache au vertical.

Le P. de Chivré n’hésitait pas à dire : « L’homme de valeur a pour vocation de faire écho à la perfection de Dieu :

— dans la lutte, il exprime sa fierté d’exister pour ce qui ne s’achète pas ;
— dans l’effort, il exprime sa force pour ce qu’il doit préserver ;
— dans le sacrifice, il exprime son amour pour ce qu’il ose préférer ;
— dans la souffrance, il exprime sa prière, pour ne pas flancher
. »

Le prédicateur

Il y aurait une étude à faire sur le style particulier de la prédication que l’on trouve chez certains Dominicains. Une prédication qui est plus spéculative que lyrique, qui fait peu appel aux ressources (voire aux artifices) de la rhétorique.

Parce que le P. de Chivré se nourrissait quotidiennement de la Somme théologique ses prédications ont souvent une construction démonstrative.

L’abbé Simoulin, qui a été le maître d’œuvre d’un beau cahier-album paru en 1994, Le R.P. de Chivré, frère prêcheur. Un père spirituel pour le XXe siècle (éditions Controverses), notait : « Son verbe était superbe, dense et ramassé en des formules fulgurantes, qui ne se laissaient pas toujours comprendre aussitôt mais qui étaient comme autant d’invitations à prolonger la méditation, des ouvertures vers d’autres contemplations. »

On retrouve dans ces prédications sur la valeur, cette densité de pensée et de parole. L’illustre bien, encore, cette profonde pensée : « L’absence d’hommes de valeur vient de la résignation moderne à diviniser le médiocre et le vulgaire par peur d’avoir à oser être la bienheureuse victime des précisions, des décisions et des exigences. »

• Carnets spirituels (prédications du R.P. de Chivré), n°18, 64 pages, 7 euros. A commander à Guy de Chivré, 5, rue Bobierre-de-Vallière, 92340 Bourg-la-Reine.

YVES CHIRON

Article extrait du n° 6746 de Présent, du Samedi 27 décembre 2008

samedi 20 décembre 2008

[Présent] Homophobie ? Non, prudence.

Article d'Yves Chiron dans Présent - 20 décembre 2008

Dès que la France, en septembre dernier, a rendu public son projet de faire voter, par l’Assemblée générale de l’ONU, une déclaration sur les droits des homosexuels, l’observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU, Mgr Migliore, a dit son opposition au projet. Il y voit, à juste titre, un moyen de pression politique : si une telle déclaration est votée, « les Etats qui ne reconnaissent pas l’union entre deux personnes de même sexe comme un mariage, seront mis au pilori et feront l’objet de pressions. »

Comme l’a justement dit Jeanne Smits en publiant le texte du projet français, la « décriminalisation universelle » de l’homosexualité serait une voie ouverte à l’ « imposition universelle » des droits des homosexuels au mariage et à l’adoption (cf. Présent, 13 décembre 2008).

La France a été, avec les Etats-Unis, pionnière dans cette voie. En 1973, l’American Psychiatric Association a exclu l’homosexualité de la liste des maladies mentales ; l’OMS prendra une position similaire en 1991. Entre temps, la France, aux premiers temps de la présidence Mitterrand, aura œuvré à la normalisation de l’homosexualité par diverses lois et dispositions : le 11 juin 1981, le ministre de l’Intérieur demande aux services de police de « renoncer aux fichages des homosexuels » ; le lendemain, le ministre de la Santé déclare que l’homosexualité ne sera plus considérée comme une psychopathologie. En 1982, est votée une loi qui dépénalise l’homosexualité « entre personnes consentantes à partir de 15 ans ».

Il n’est pas nécessaire de rappeler les étapes suivantes, notamment la création du PACS et la loi du 30 décembre 2004 qui a institué la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) et qui a créé un délit d’homophobie (même si le terme n’est employé tel quel).

Pris dans son sens littéral, le mot « homophobe » ne veut pas dire grand chose : « la peur du même ». Le néologisme a désigné dès son origine, en 1971, autre chose : l’hostilité à l’égard des homosexuels. Dans ce sens péjoratif, l’homophobie a la même portée que la xénophobie.

L’Eglise n’est pas homophobe au sens du néologisme, elle n’est pas « hostile » aux hommes et femmes qui ont une tendance homosexuelle. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique demande : « Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. » (CEC, 2358). Mais l’Eglise ne peut être ni « homophile » ni indifférente face aux diverses « orientations sexuelles ».

L’inclination particulière à l’homosexualité n’est pas « en elle-même un péché », mais elle est « objectivement désordonnée ». Les actes homosexuels sont, en tous les cas, condamnables. Toute la Tradition de l’Eglise – de la Bible aux enseignements du Magistère – le dit. La Congrégation pour la doctrine de la Foi, à deux reprises ces dernières décennies, a rappelé cet enseignement. Le 29 décembre 1975, dans la déclaration Persona humana, « Sur certaines questions d’éthique sexuelle », et le 1er octobre 1986, dans la Lettre pastorale à l’égard des personnes homosexuelles.

« Selon l’ordre moral objectif, les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable. Elles sont condamnées dans la Sainte Ecriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d’un refus de Dieu » (Persona humana, 8). Les actes homosexuels « sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas » (CEC, 2357).

Les justes discriminations

Quand l’Eglise demande d’éviter toute « discrimination injuste » à l’égard des homosexuels, elle ne pose pas un principe absolu de non-discrimination. Elle considère que certaines discriminations sont justes parce que nécessaires et relèvent de la vertu de prudence.

Le 23 juillet 1986, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dirigée par celui qui allait devenir un jour Benoît XVI, avait rendu publiques des « Observations » sur la non-discrimination des personnes homosexuelles qu’il est utile de relire aujourd’hui.

L’orientation homosexuelle de certaines personnes, rappelle le document, « fait naître une préoccupation morale particulière ». « Il y a des domaines dans lesquels ce n’est pas une discrimination injuste de tenir compte de l’orientation sexuelle, par exemple dans le placement ou l’adoption d’enfants, dans l’engagement d’instituteurs ou d’entraîneurs sportifs, et le recrutement militaire. »

L’Eglise ne peut accepter la promotion de l’homosexualité ni non plus sa protection légale. « Il y a un danger qu’une législation qui ferait de l’homosexualité le fondement de droits puisse en réalité encourager une personne ayant une orientation homosexuelle à la déclarer publiquement ou même à chercher un partenaire afin de profiter des dispositifs de la loi. »

Yves CHIRON

samedi 13 décembre 2008

[Présent] Le blanc manteau des mosquées

Article d'Yves Chiron - Présent - 13 décembre 2008

En 1900, il n’existait aucune mosquée en France métropolitaine. La première sera la Grande Mosquée de Paris inaugurée en 1926. Ces vingt dernières années, le nombre des mosquées et lieux de culte a été multiplié par quatre en France. Aujourd’hui, il y aurait entre 1500 et 2000 édifices de culte musulman ou salles de prières. Le chiffre est imprécis parce qu’il y a des salles de prières temporaires ou improvisées.

Désormais, « les mosquées s’inscrivent dans le paysage des villes françaises » nous dit un article du Monde consacré à la grande mosquée qui vient d’être inaugurée à Créteil. Deux cents projets de mosquée sont en cours. Après l’inauguration de la Grande mosquée de Lyon, en 1994, d’autres grandes villes vont se doter dans les années à venir d’un grand lieu de culte musulman : Marseille, Strasbourg, Nantes, Tours. Les villes moyennes ne sont pas en reste. Une ville comme Châteauroux (moins de 50.000 habitants) a installé une grande mosquée, avec minaret, au milieu d’un quartier HLM qui a été totalement rénové.

Quand on dit « installé », ce n’est pas par un glissement de langage. Sans l’accord des communes concernées, il ne peut y avoir construction de mosquées ; ce sont les autorités municipales qui délivrent les permis de construire et apportent une aide financière.

Le maire socialiste de Créteil, Laurent Cathala, non seulement a trouvé un terrain constructible pour la nouvelle mosquée érigée dans sa ville –– terrain qu’il loue par un bail emphytéotique dérisoire — mais il a accordé une aide d’un million d’euros pour la construction et il versera une subvention annuelle de 100.000 euros pour son fonctionnement.

Tout cela contredit la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 qui stipule que « la République ne subventionne aucun culte ». Laurent Cathala le reconnaît lui-même : « On est dans l’hypocrisie ». Les différentes largesses financières consenties par la municipalité de Créteil au culte musulman l’ont été au titre des « activités culturelles » pratiquées dans des bâtiments qui jouxtent la mosquée (librairie, salon de thé, hammam).

Au XIe siècle, devant l’efflorescence des édifices romans, le moine bourguignon Raoul Glaber, dans sa Chronique, a parlé, dans une formule devenue célèbre, de « la terre qui se couvre d’un blanc manteau d’églises ». Aujourd’hui, en France, devant les 200 mosquées supplémentaires qui vont surgir de terre, on pourrait reprendre la formule en changeant un seul mot.

L’église Saint-François-de-Sales à Rouen

La disproportion est grande entre la foisonnante floraison musulmane et la rareté des fleurs catholiques. La dernière église construite en France l’a été par la Fraternité saint Pie X, elle est située au centre-ville de Rouen et elle est dédiée à saint François de Sales.

La première pierre en avait été posée en décembre 2005. Moins de trois ans plus tard, Mgr Tissier de Mallerais est venu bénir l’édifice. C’était le 22 novembre dernier. Là il n’y a pas eu de subvention municipale, le principe de « séparation » de l’Eglise et de l’Etat a été strictement appliqué. Seuls le zèle de l’abbé Camper, les sacrifices et la générosité des fidèles ont permis cette construction rapide.

Le grand quotidien régional Paris-Normandie a salué l’événement par un article en pleine page, très bienveillant. Ras le Front, « Réseau de lutte contre le fascisme », s’en est étranglé d’indignation et a publié un communiqué pour dénoncer les supposés liens entre la FSSPX et l’extrême-droite.

Le site de la Fraternité Saint-Pie X, qui, à juste titre, ne rapporte pas cette polémique —imbécile — se laisse aller à une exagération en parlant de « l’Eglise catholique en France où il n’est question partout que de fermeture, d’abandon et de démolition de nos clochers ». Cette vue des choses est injuste. Certes, la dernière cathédrale construite en France a été celle d’Evry, dont la dédicace a eu lieu en 1997, et, depuis cette date, peu d’églises ont été construites en France.

Mais, il n’y a pas qu’ « abandon » et « démolition ». Il y a aussi des reconstructions, des réhabilitations, des agrandissements d’églises. Les Chantiers du Cardinal – l’association ecclésiastique qui coordonne les travaux dans les églises du diocèse de Paris et de trois départements environnants (92, 93 et 94) – recense 40 chantiers en cours de réalisation ou de projet.

Yves Chiron

samedi 6 décembre 2008

[Présent] Crise de l’Eglise et prophétie

Article d'Yves Chiron - Présent - 6 décembre 2008

Le 2 octobre 1999, les « secrets » révélés par la Vierge Marie aux deux bergers de La Salette, le 19 septembre 1846, ont été découverts, dans les archives de l’ex-Saint-Office, par l’abbé Michel Corteville. Les textes, rédigés par les deux voyants, Mélanie Calvat et Maximin Giraud, avaient été remis au pape Pie IX le 18 juillet 1851. Ils étaient considérés comme perdus.

Ces textes ont fait l’objet d’une thèse de doctorat en théologie qui a été soutenue par l’abbé Corteville en 2000 à l’Angelicum, l’université pontificale des Dominicains. Cette thèse a commencé à être publiée, dans son texte intégral, en 2001. Elle a été reprise, sous une forme plus accessible à un large public, dans un ouvrage publié par l’abbé Corteville et l’inévitable René Laurentin, Découverte du secret de La Salette (Fayard, 2002).

Cette découverte, inespérée, de 1999 est un événement considérable pour l’historiographie de La Salette. Les versions du secret révélé à Mélanie, qui avaient été publiées précédemment, notamment celle publiée en 1879, avec l’imprimatur de Mgr Zola, évêque de Lecce, s’en trouvent en partie confirmées et en partie rectifiées sur certains points importants.

Cette découverte est-elle aussi un événement considérable pour l’Eglise d’aujourd’hui, un événement qui vient à son heure pour aider et éclairer les fidèles d’aujourd’hui ?

On remarquera d’abord que cette découverte du texte original de La Salette n’a pas cassé les vieux réflexes des uns et des autres. En 1991, le P. Stern, considéré comme un des principaux spécialistes de La Salette, estimait, dans sa volumineuse trilogie sur le sujet, que le texte publié en 1879 était une extrapolation, autant dire un tissu d’affabulations pieuses. Selon lui, « les secrets entendus par Maximin et Mélanie le 19 septembre 1846 concernent les voyants eux-mêmes ».

Cette affirmation, pour le moins imprudente, date d’avant la découverte de 1999. Pourtant, en 2006 encore, le chapelain du sanctuaire Notre-Dame de La Salette, a publié un livre sur l’apparition de 1846 (Maurice Tochon, La Salette, Editions de Paris) où il ignore le texte authentique publié ou feint de l’ignorer. Il se contente de traiter par le mépris des « documents, présentés comme ”les secrets de La Salette” [qui] ne font guère que recopier des documents du même genre qui circulent depuis la restauration religieuse et politique. »

Inversement, nombre de ceux qui prennent au sérieux le « secret de La Salette » persistent à se référer, et à publier, le texte édité en 1879, alors qu’il n’est pas le texte authentique du secret révélé en 1846 et remis au Pape en 1851.

« Rome perdra la foi » ?

« Rome perdra la foi… elle deviendra le siège de l’antéchrist… Il y aura une éclipse de l’Eglise » : ces paroles que la Sainte Vierge aurait dites à Mélanie en 1846 sont reprises aujourd’hui, par certains, comme une prophétie décrivant la situation actuelle de l’Eglise, la crise qu’elle traverse et qui est loin d’être terminée.

Pourtant, aucune des paroles citées ci-dessus ne se trouve dans le texte authentique du secret révélé à Mélanie ; elles figurent dans le texte édité en 1879.

Dans le texte authentique du secret révélé à Mélanie, il y a des avertissements terribles et des prophéties. Certaines se sont réalisées : « Le pape sera persécuté de toutes parts : on lui tirera dessus, on voudra le mettre à mort, mais on ne lui pourra rien, le vicaire de Dieu triomphera encore cette fois » ; ou encore quand il est question des persécutions qui s’abattront sur le clergé et sa cohorte de martyres. D’autres prophéties ne se sont pas réalisées ou pas encore : « Paris […] périra infailliblement. Marseille sera détruite en peu de temps » ou « Un grand roi montera sur le trône, et régnera pendant quelques années ».

Le fidèle n’est pas tenu d’accorder foi à la littéralité de tels textes qui ne sont pas un complément à la Révélation de l’Evangile. Il serait téméraire, en revanche, d’en nier l’authenticité.

Les prophéties de La Salette, comme toutes les prophéties, sont conditionnelles (« s’ils ne se convertissent pas […] si la face de la terre ne change pas »). Saint Thomas, dans la Somme contre les Gentils (l. III, ch. 154), rappelle que la prophétie d’Isaïe sur la mort d’Ezéchias et celle de Jonas sur la destruction de Ninive ne se sont pas réalisées, « selon l’opération de Dieu qui libère et qui guérit ».

Yves Chiron