samedi 29 novembre 2008

[Présent] Mission, catéchisme et martyre

Article d'Yves Chiron - Présent - 29 novembre 2008

Le 24 novembre dernier, à Nagasaki, 188 chrétiens morts en martyr au Japon entre 1603 et 1639 ont été béatifiés par le cardinal José Saraiva Martins, préfet émérite de la Congrégation pour les causes des saints. Ils rejoignent les centaines de fidèles, missionnaires ou japonais, morts pour la foi au Japon et déjà béatifiés ou canonisés.

C’est en 1627 que les premiers chrétiens morts en martyr au Japon ont été portés sur les autels : trente ans après leur crucifixion à Nagasaki, le franciscain Pierre-Baptiste Blasquez, le jésuite Paul Miki et vingt-quatre autres religieux et laïcs étaient proclamés bienheureux par le pape Urbain VIII. Ils seront canonisés par Pie IX le 9 juin 1862.

Si l’on examine les centaines de béatifications qui ont suivi, sous Pie IX, sous Jean-Paul II et celles d’il y a quelques jours, on relève un nombre très important de laïcs. Parmi les béatifiés du 24 novembre, on compte vingt-huit couples, qui ont été mis à mort ensemble, in odium fidei. On relève même des familles entières. Par exemple, cette famille de Kyoto, Jean Hashimoto Tahyoe, son épouse Thecla et leurs cinq enfants (Catherine 13 ans, Thomas 12 ans, François 8 ans, Pierre 6 ans et Louise 3 ans), mis à mort le 6 octobre 1619.

Cet héroïsme dans la foi, jusqu’à l’acceptation de la mort, suscite bien sûr l’admiration. Il est aussi le fruit des méthodes missionnaires. Après l’apostolat de saint François-Xavier, dans les années 1550, l’autre grand évangélisateur du Japon fut Alexandre Valignano qui était Visiteur de tous les missionnaires jésuites en Asie. Il a effectué de longs séjours au Japon, entre 1578 à 1601. Son activité missionnaire a pris trois directions. Une certaine adaptation aux mœurs et coutumes japonaises : par exemple, accepter « les lois et coutumes japonaises quand elles ne sont pas contraires à la loi divine » ou porter des vêtements de soie plutôt que de coton. Deuxièmement, enseigner un catéchisme solide, « gage de persévérance » écrivait-il. Troisièmement, former une élite chrétienne japonaise et un clergé japonais : le premier séminaire sera ouvert en 1580, le premier prêtre japonais sera ordonné en 1601.

La « méthode catéchétique » de Valignano

Dans la Relation missionnaire qu’il a rédigée en 1583, Valignano a exposé la « méthode catéchétique » employée par ses missionnaires et par lui-même :

« La méthode à suivre dans toutes les conversions est d’enseigner très bien le catéchisme. On l’explique en général en sept leçons. On montre les erreurs et la fausseté des “sectes“, l’existence d’un seul Dieu qui donne aux âmes récompenses et châtiments ; on prouve aussi que l’âme est immortelle ; on traite de la venue de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ et de toute la doctrine essentielle de notre sainte loi. Ceux qui se décident à devenir chrétiens écrivent alors en leur langue le Credo, le Pater noster et l’Ave Maria, les commandements et d’autres prières, et ils les illustrent avec beaucoup de soin, car ils aiment tous faire cela. En général, après ces premiers enseignements, ceux qui deviennent chrétiens s’écartent entièrement du culte des idoles, et concluent par raison qu’il s’agit de fausses sectes. Mais comme ils sont ignorants et à peine initiés à notre foi, ils ne deviennent des chrétiens bons et dévots qu’avec le temps et une longue formation. »

Le jésuite qui a édité, en 1990, cette Relation missionnaire, a pris, dans son commentaire, le contre-pied de son prédécesseur et rejette sa méthode catéchétique : « Inutile de dire, écrit le P. Bésineau, qu’aujourd’hui la démarche serait plutôt inverse, à moins que l’on ne dégage de la doctrine des “sectes“, d’autrefois et d’aujourd’hui, ce qu’elle recèle de positif et de “naturellement chrétien“. »

Cette acculturation extrême, et doctrinalement périlleuse, risque de remettre toujours à plus tard l’ « annonce » de la foi et le « témoignage » remplace l’enseignement.

Le P. Valignano, lui, pensait que « si quelqu’un les forme, [les catéchumènes] ne tardent pas à être bons ; ils sont tous en effet doués, intelligents et très avides d’apprendre, de venir aux messes, sermons, cérémonies, de se confesser et de recevoir, quand on le leur permet, le Très Saint sacrement ; ils se forment vite quand il y a des ouvriers et deviennent excellents. »

Les milliers de martyrs au Japon, entre 1596 et 1640, témoignent aussi du bon travail des « ouvriers » de l’Evangile.

Yves CHIRON