samedi 18 octobre 2008

[Présent] Renouveau du thomisme en France?

Présent, 18 octobre 2008


Dans ses souvenirs, déjà cités ici, le père Jean-Miguel Garrigues raconte comment, dans les années 1960-70, dans le grand couvent de formation dominicaine du Saulchoir, l’étude de saint Thomas était plus que déficiente. Dans les années 40-50, il y avait déjà eu la réduction historicisante menée par la fameuse Ecole du Saulchoir (le P. Chenu et d’autres). Dans les années 60-70, la morale de saint Thomas n’était plus enseignée.

Un autre dominicain, d’une génération à peine postérieure, le P. Bonino, a vécu la même expérience: «Le thomisme a connu dans l’Eglise une forte désaffection après Vatican II. La plupart des clercs ont surtout rejeté ce qu’ils avaient vécu, à tort ou à raison, comme une sorte de pensée officielle stérilisée, un véritable carcan idéologique. D’autres ont estimé que la rupture introduite par la modernité était si profonde qu’une pensée d’origine médiévale comme le thomisme ne pouvait plus répondre aux questions d’aujourd’hui et servir à une intelligence contemporaine de la foi. Il faut refaire, disait-on, avec Hegel, Marx ou Freud ce que saint Thomas avait fait avec Aristote.»

Le thomisme avait connu un certain renouveau en France dans la première moitié du XXe siècle, mais il faut reconnaître que ce fut davantage dans le domaine de la philosophie que dans celui de la théologie, bien plus à l’université que par les séminaires et les couvents d’études. Les Jésuites, par exemple, à travers ce qu’on a appelé l’Ecole de Fourvière (Henri de Lubac, etc.) suivent, notamment après la Deuxième Guerre mondiale, une autre voie, promouvant une théologie positive davantage fondée sur les sources scripturaires et patristiques.

Les Dominicains, dès la fin des années 50, donc avant le concile Vatican II, participent d’un mouvement plus général, en France du moins, qui abandonne la doctrine de saint Thomas ou la réduit à l’état d’un objet historique à étudier.

Dans ce domaine, comme en d’autres, le concile Vatican II n’a pas su enrayer le mouvement. Pourtant, dans le décret sur la formation des prêtres, l’étude de saint Thomas est recommandée, mais comme une ultime étape. En effet, le concile préconise une voie progressive pour la formation des séminaristes: études bibliques, études patristiques «puis pour mettre en lumière, autant qu’il est possible, les mystères du salut, ils apprendront à les pénétrer plus à fond, et à en percevoir la cohérence, par un travail spéculatif, avec saint Thomas pour maître.»

Paul VI avait, avant le décret, à plusieurs reprises, recommandé l’étude de saint Thomas: «Il y a chez le Docteur angélique tant de puissante intelligence, tant de sincère amour de la vérité, tant de sagesse dans l’approfondissement, la présentation et la synthèse des plus hautes vérités, que sa doctrine est l’instrument le plus efficace non seulement pour asseoir la foi sur des bases sûres, mais aussi pour percevoir d’une façon efficace et assurée les fruits d’un sain progrès.»

Comment et pourquoi de telles recommandations sont restées inopérantes, en France du moins, n’ont pas réussi à renverser une tendance, il faudrait, pour commencer à le comprendre, se livrer à une étude systématique et documentée du fonctionnement et des programmes des séminaires et des couvents d’études dans les années 60-70 et même 80.

La loi naturelle

En France, les éditions des œuvres de saint Thomas d’Aquin ont connu un nouvel essor depuis les années 1980. Soit des rééditions, soit des traductions nouvelles. Les Sommes (théologique et Contre les Gentils), le Compendium de théologie sont disponibles en édition annotée. Fait nouveau, les Commentaires de saint Thomas d’Aquin sur l’Ecriture Sainte, qui, pour certains n’avaient jamais été traduits, ont fait et font l’objet d’éditions bilingues, abondamment annotées. Les Dominicains (pas les Jésuites) sont les artisans de cette nouvelle présence de saint Thomas dans les librairies. De même ce sont certains couvents dominicains (pas tous cependant), et non les couvents jésuites, qui publient des revues où l’étude de saint Thomas est à nouveau à l’honneur. Le P. Bonino, qui dirige la vénérable Revue thomiste depuis 1991, déclare à L’Homme nouveau sa volonté de «manifester [à travers sa revue] la fécondité des principes du thomisme dans les débats philosophiques et théologiques contemporains. […] assurer la présence, dans le monde francophone, d’un thomisme vivant, fidèle à son identité génétique et ouvert à une croissance homogène.»

Encore faut-il, ensuite, que le thomisme, illustré par des articles de revue et par des livres, enseigné dans certains couvents d’études, redevienne la base de l’enseignement dans tous les séminaires et tous les couvents d’étude.

On signalera encore que le P. Bonino, qui est membre de la Commission théologique internationale et de l’Académie pontificale de saint Thomas d’Aquin, est chargé de coordonner la rédaction d’un document romain sur la Loi naturelle qui devrait être publié dans les prochains mois et rappeler, contre le subjectivisme et le relativisme, qu’il existe, selon la récente expression de Benoît XVI, une «norme écrite par le Créateur dans le cœur de l’homme» qui lui permet de distinguer le bien du mal.

Yves CHIRON