vendredi 15 août 2008

[Présent] Une encyclique à contre-courant

Présent, 15 août 2008

Paul VI savait que cette septième encyclique [Humanae Vitae] de son pontificat allait rencontrer l’opposition d’une partie de l’opinion publique et de certains théologiens. Il fut peiné de voir que certains épiscopats se montrèrent eux aussi critiques ou réticents. Pour s’en tenir à la presse française, la plupart des quotidiens et des hebdomadaires ont dénoncé « un recul par rapport à l’esprit même du concile ». L’expression est dans France-Soir, le 30 juillet 1968. Mais on retrouve des jugements similaires dans le Monde qui déplore « une image de la femme très délibérément classique » (30/7). Dans Combat qui oppose « la morale du bonheur » à « la morale dite naturelle » (30/7). Dans France-Soir qui estime que Paul VI « a brisé un espoir et plonge beaucoup de catholiques dans le désarroi » (7/8). Dans le Nouvel Observateur qui estime que la pilule est désormais « un fait social, un acquis culturel » et qui affirme que « Paul VI vient répéter le coup de Galilée » (4/8). On signalera néanmoins que le philosophe Maurice Clavel a pu, dans ce même hebdomadaire de gauche, prendre la défense de l’encyclique qui, écrit-il, « apporte un souffle d’air frais »

La Croix et l’Aurore sont les seuls quotidiens français à avoir pris la défense de l’encyclique. Mais le P. Antoine Wenger, alors rédacteur en chef du seul quotidien catholique d’alors, reconnaîtra qu’il lui a été difficile de trouver « chez les évêques ou dans le laïcat des chroniqueurs favorables à l’encyclique. »

De nombreux théologiens se montrèrent publiquement réticents ou franchement hostiles à l’enseignement de Paul VI. Le théologien et psychanalyste Marc Oraison (très à la mode à l’époque, qui le lit encore aujourd’hui ?) osa déclarer : « Je pense que le doute, la réflexion, la contestation même restent possibles ». Karl Rahner ou Bernard Häring, autres théologiens de grande audience, publièrent des articles pour contester l’encyclique. Quelque quatre-vingts théologiens américains, rejoints ensuite par des centaines de théologiens et de prêtres des Etats-Unis, publièrent une sorte de protestation. Au terme d’un congrès, qui s’est tenu à Amsterdam les 18 et 19 septembre, des théologiens hollandais publièrent un communiqué pour dire leur déception que l’encyclique ne corresponde pas aux « espoirs » qu’avait suscités le concile Vatican II.

Des épiscopats entiers (le belge, le hollandais, l’autrichien) osèrent, selon la formule de l’abbé Berto, « avec une ignorance qu’on ne pardonnerait pas à un étudiant de deuxième année de théologie, opposer l’Encyclique à la conscience, comme si l’Encyclique n’était pas précisément une norme prochaine de la conscience ». L’épiscopat français, lui, attendit son assemblée plénière annuelle à Lourdes (en novembre) pour publier une prise de position collective qui fut résumée en un balancement : « La contraception ne peut jamais être un bien. Elle est toujours un désordre, mais ce désordre n’est pas toujours coupable ». Les évêques français admettaient qu’il pouvait y avoir , pour les époux, « conflits de devoirs ». Rares ont été, à cette époque, les évêques français qui ont adhéré ouvertement ou simplement à l’enseignement du Pape. Un des rares fut le cardinal Renard, archevêque de Lyon, qui dès le 2 août déclarait : « De nombreux fidèles de l’Eglise […] sont reconnaissants au pape d’avoir eu le courage de parler » (2/8).

La Pensée catholique, avec l’abbé Lefevre, l’abbé Berto et plusieurs médecins, Itinéraires, avec Jean Madiran, Mgr Lefebvre, le P. Calmel, Thomas Molnar, le P. Barbara et Marcel De Corte, publièrent des dossiers spéciaux pour défendre et illustrer l’encyclique. Mgr Lefebvre saluait Humanae Vitae, et le Credo que Paul VI avait proclamé quelques semaines auparavant, comme des « lueurs d’espérance » : « l’Esprit Saint se manifeste aujourd’hui d’une manière particulièrement consolante ». Jean Madiran, dans un commentaire lumineux, disait que l’encyclique « a heurté de plein fouet “la conscience collective de l’humanité“ en son état actuel d’aveuglement et d’auto-suffisance ». Et il donnait les causes de cet état : « le recul général de l’éducation des consciences » et « la montée simultanée des moyens techniques de manipulation des esprits. » Manipulation des esprits et recul de l’éducation des consciences, quarante ans plus tard le constat reste vrai.

Yves Chiron