samedi 27 décembre 2008

[Présent] Lire le R.P. de Chivré

Article d'Yves Chiron dans Présent du samedi 27 décembre 2008

Le R.P. de Chivré (1902-1984), qui comptait un Croisé parmi ses ancêtres, était un authentique Dominicain, voué d’abord à la prédication.

Jean Madiran, en ouverture du bouquet d’hommages publié dans Itinéraires au lendemain de sa mort, écrivait : « Fidèle aux traditions et à la vocation de son Ordre ; fidèle à la théologie du Docteur commun de l’Eglise, saint Thomas d’Aquin ; fidèle à la dévotion dominicaine à la Vierge Marie, fidèle au chapelet, le P. de Chivré a été persécuté surtout pour son inébranlable fidélité, dans le rite dominicain, à la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne. »

Jean Madiran notait aussi : « Avant d’être persécuté pour sa fidélité à la messe, le P. de Chivré était déjà mortellement suspect pour son amitié militante à l’égard d’Itinéraires. Cette longue amitié militante a commencé avec la naissance de la revue, et le P. de Chivré l’a maintenue jusqu’à sa mort. »

Ses amis et ses disciples spirituels, dont l’abbé Michel Simoulin, publient régulièrement, depuis 2004, sous le titre Carnets spirituels, de petits et élégants recueils de ses prédications, appartenant à différentes époques. Chaque volume comporte cinq ou six sermons ou prédications, regroupés thématiquement. Le dernier Carnet spirituel paru a pour thème « la valeur ».

De plus en plus, le mot valeur est employé comme synonyme d’« opinions » ou de « convictions ». « Nous partageons les mêmes valeurs… », comme on dirait « nous avons les mêmes idées… ». C’est un dévoiement du sens authentique du mot. « La valeur, dit le P. de Chivré dans une de ses prédications, se révèle dans la finale du geste accordée sur la connaissance initiale du beau, bien, bon, vrai qui l’ont inspiré. »

« Retrouver la valeur, c’est renouer avec des données universelles qui nous précèdent : le beau, le bien, le vrai, le bon, qui honorent notre intelligence en la délivrant des prétentions imaginatives à penser l’existence sans référence à ce qui nous précède… »

La valeur implique la reconnaissance de quelque chose qui dépasse, mais qui guide aussi et elle sera liée à la notion de sacrifice : « La valeur ose demander à l’esprit et au cœur des réactions sans salaire d’aucune sorte, des comportements de gratuité qualitative, des gestes de désintéressement charnellement inexplicables, matériellement contradictoires avec l’intérêt, le corps, le sexe, l’animalité. »

Valeur et verticalité commencent toutes deux par la même lettre, avec l’idée d’infini qui s’attache au vertical.

Le P. de Chivré n’hésitait pas à dire : « L’homme de valeur a pour vocation de faire écho à la perfection de Dieu :

— dans la lutte, il exprime sa fierté d’exister pour ce qui ne s’achète pas ;
— dans l’effort, il exprime sa force pour ce qu’il doit préserver ;
— dans le sacrifice, il exprime son amour pour ce qu’il ose préférer ;
— dans la souffrance, il exprime sa prière, pour ne pas flancher
. »

Le prédicateur

Il y aurait une étude à faire sur le style particulier de la prédication que l’on trouve chez certains Dominicains. Une prédication qui est plus spéculative que lyrique, qui fait peu appel aux ressources (voire aux artifices) de la rhétorique.

Parce que le P. de Chivré se nourrissait quotidiennement de la Somme théologique ses prédications ont souvent une construction démonstrative.

L’abbé Simoulin, qui a été le maître d’œuvre d’un beau cahier-album paru en 1994, Le R.P. de Chivré, frère prêcheur. Un père spirituel pour le XXe siècle (éditions Controverses), notait : « Son verbe était superbe, dense et ramassé en des formules fulgurantes, qui ne se laissaient pas toujours comprendre aussitôt mais qui étaient comme autant d’invitations à prolonger la méditation, des ouvertures vers d’autres contemplations. »

On retrouve dans ces prédications sur la valeur, cette densité de pensée et de parole. L’illustre bien, encore, cette profonde pensée : « L’absence d’hommes de valeur vient de la résignation moderne à diviniser le médiocre et le vulgaire par peur d’avoir à oser être la bienheureuse victime des précisions, des décisions et des exigences. »

• Carnets spirituels (prédications du R.P. de Chivré), n°18, 64 pages, 7 euros. A commander à Guy de Chivré, 5, rue Bobierre-de-Vallière, 92340 Bourg-la-Reine.

YVES CHIRON

Article extrait du n° 6746 de Présent, du Samedi 27 décembre 2008

samedi 20 décembre 2008

[Présent] Homophobie ? Non, prudence.

Article d'Yves Chiron dans Présent - 20 décembre 2008

Dès que la France, en septembre dernier, a rendu public son projet de faire voter, par l’Assemblée générale de l’ONU, une déclaration sur les droits des homosexuels, l’observateur permanent du Saint-Siège à l’ONU, Mgr Migliore, a dit son opposition au projet. Il y voit, à juste titre, un moyen de pression politique : si une telle déclaration est votée, « les Etats qui ne reconnaissent pas l’union entre deux personnes de même sexe comme un mariage, seront mis au pilori et feront l’objet de pressions. »

Comme l’a justement dit Jeanne Smits en publiant le texte du projet français, la « décriminalisation universelle » de l’homosexualité serait une voie ouverte à l’ « imposition universelle » des droits des homosexuels au mariage et à l’adoption (cf. Présent, 13 décembre 2008).

La France a été, avec les Etats-Unis, pionnière dans cette voie. En 1973, l’American Psychiatric Association a exclu l’homosexualité de la liste des maladies mentales ; l’OMS prendra une position similaire en 1991. Entre temps, la France, aux premiers temps de la présidence Mitterrand, aura œuvré à la normalisation de l’homosexualité par diverses lois et dispositions : le 11 juin 1981, le ministre de l’Intérieur demande aux services de police de « renoncer aux fichages des homosexuels » ; le lendemain, le ministre de la Santé déclare que l’homosexualité ne sera plus considérée comme une psychopathologie. En 1982, est votée une loi qui dépénalise l’homosexualité « entre personnes consentantes à partir de 15 ans ».

Il n’est pas nécessaire de rappeler les étapes suivantes, notamment la création du PACS et la loi du 30 décembre 2004 qui a institué la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) et qui a créé un délit d’homophobie (même si le terme n’est employé tel quel).

Pris dans son sens littéral, le mot « homophobe » ne veut pas dire grand chose : « la peur du même ». Le néologisme a désigné dès son origine, en 1971, autre chose : l’hostilité à l’égard des homosexuels. Dans ce sens péjoratif, l’homophobie a la même portée que la xénophobie.

L’Eglise n’est pas homophobe au sens du néologisme, elle n’est pas « hostile » aux hommes et femmes qui ont une tendance homosexuelle. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique demande : « Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. » (CEC, 2358). Mais l’Eglise ne peut être ni « homophile » ni indifférente face aux diverses « orientations sexuelles ».

L’inclination particulière à l’homosexualité n’est pas « en elle-même un péché », mais elle est « objectivement désordonnée ». Les actes homosexuels sont, en tous les cas, condamnables. Toute la Tradition de l’Eglise – de la Bible aux enseignements du Magistère – le dit. La Congrégation pour la doctrine de la Foi, à deux reprises ces dernières décennies, a rappelé cet enseignement. Le 29 décembre 1975, dans la déclaration Persona humana, « Sur certaines questions d’éthique sexuelle », et le 1er octobre 1986, dans la Lettre pastorale à l’égard des personnes homosexuelles.

« Selon l’ordre moral objectif, les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable. Elles sont condamnées dans la Sainte Ecriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d’un refus de Dieu » (Persona humana, 8). Les actes homosexuels « sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas » (CEC, 2357).

Les justes discriminations

Quand l’Eglise demande d’éviter toute « discrimination injuste » à l’égard des homosexuels, elle ne pose pas un principe absolu de non-discrimination. Elle considère que certaines discriminations sont justes parce que nécessaires et relèvent de la vertu de prudence.

Le 23 juillet 1986, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dirigée par celui qui allait devenir un jour Benoît XVI, avait rendu publiques des « Observations » sur la non-discrimination des personnes homosexuelles qu’il est utile de relire aujourd’hui.

L’orientation homosexuelle de certaines personnes, rappelle le document, « fait naître une préoccupation morale particulière ». « Il y a des domaines dans lesquels ce n’est pas une discrimination injuste de tenir compte de l’orientation sexuelle, par exemple dans le placement ou l’adoption d’enfants, dans l’engagement d’instituteurs ou d’entraîneurs sportifs, et le recrutement militaire. »

L’Eglise ne peut accepter la promotion de l’homosexualité ni non plus sa protection légale. « Il y a un danger qu’une législation qui ferait de l’homosexualité le fondement de droits puisse en réalité encourager une personne ayant une orientation homosexuelle à la déclarer publiquement ou même à chercher un partenaire afin de profiter des dispositifs de la loi. »

Yves CHIRON

samedi 13 décembre 2008

[Présent] Le blanc manteau des mosquées

Article d'Yves Chiron - Présent - 13 décembre 2008

En 1900, il n’existait aucune mosquée en France métropolitaine. La première sera la Grande Mosquée de Paris inaugurée en 1926. Ces vingt dernières années, le nombre des mosquées et lieux de culte a été multiplié par quatre en France. Aujourd’hui, il y aurait entre 1500 et 2000 édifices de culte musulman ou salles de prières. Le chiffre est imprécis parce qu’il y a des salles de prières temporaires ou improvisées.

Désormais, « les mosquées s’inscrivent dans le paysage des villes françaises » nous dit un article du Monde consacré à la grande mosquée qui vient d’être inaugurée à Créteil. Deux cents projets de mosquée sont en cours. Après l’inauguration de la Grande mosquée de Lyon, en 1994, d’autres grandes villes vont se doter dans les années à venir d’un grand lieu de culte musulman : Marseille, Strasbourg, Nantes, Tours. Les villes moyennes ne sont pas en reste. Une ville comme Châteauroux (moins de 50.000 habitants) a installé une grande mosquée, avec minaret, au milieu d’un quartier HLM qui a été totalement rénové.

Quand on dit « installé », ce n’est pas par un glissement de langage. Sans l’accord des communes concernées, il ne peut y avoir construction de mosquées ; ce sont les autorités municipales qui délivrent les permis de construire et apportent une aide financière.

Le maire socialiste de Créteil, Laurent Cathala, non seulement a trouvé un terrain constructible pour la nouvelle mosquée érigée dans sa ville –– terrain qu’il loue par un bail emphytéotique dérisoire — mais il a accordé une aide d’un million d’euros pour la construction et il versera une subvention annuelle de 100.000 euros pour son fonctionnement.

Tout cela contredit la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 qui stipule que « la République ne subventionne aucun culte ». Laurent Cathala le reconnaît lui-même : « On est dans l’hypocrisie ». Les différentes largesses financières consenties par la municipalité de Créteil au culte musulman l’ont été au titre des « activités culturelles » pratiquées dans des bâtiments qui jouxtent la mosquée (librairie, salon de thé, hammam).

Au XIe siècle, devant l’efflorescence des édifices romans, le moine bourguignon Raoul Glaber, dans sa Chronique, a parlé, dans une formule devenue célèbre, de « la terre qui se couvre d’un blanc manteau d’églises ». Aujourd’hui, en France, devant les 200 mosquées supplémentaires qui vont surgir de terre, on pourrait reprendre la formule en changeant un seul mot.

L’église Saint-François-de-Sales à Rouen

La disproportion est grande entre la foisonnante floraison musulmane et la rareté des fleurs catholiques. La dernière église construite en France l’a été par la Fraternité saint Pie X, elle est située au centre-ville de Rouen et elle est dédiée à saint François de Sales.

La première pierre en avait été posée en décembre 2005. Moins de trois ans plus tard, Mgr Tissier de Mallerais est venu bénir l’édifice. C’était le 22 novembre dernier. Là il n’y a pas eu de subvention municipale, le principe de « séparation » de l’Eglise et de l’Etat a été strictement appliqué. Seuls le zèle de l’abbé Camper, les sacrifices et la générosité des fidèles ont permis cette construction rapide.

Le grand quotidien régional Paris-Normandie a salué l’événement par un article en pleine page, très bienveillant. Ras le Front, « Réseau de lutte contre le fascisme », s’en est étranglé d’indignation et a publié un communiqué pour dénoncer les supposés liens entre la FSSPX et l’extrême-droite.

Le site de la Fraternité Saint-Pie X, qui, à juste titre, ne rapporte pas cette polémique —imbécile — se laisse aller à une exagération en parlant de « l’Eglise catholique en France où il n’est question partout que de fermeture, d’abandon et de démolition de nos clochers ». Cette vue des choses est injuste. Certes, la dernière cathédrale construite en France a été celle d’Evry, dont la dédicace a eu lieu en 1997, et, depuis cette date, peu d’églises ont été construites en France.

Mais, il n’y a pas qu’ « abandon » et « démolition ». Il y a aussi des reconstructions, des réhabilitations, des agrandissements d’églises. Les Chantiers du Cardinal – l’association ecclésiastique qui coordonne les travaux dans les églises du diocèse de Paris et de trois départements environnants (92, 93 et 94) – recense 40 chantiers en cours de réalisation ou de projet.

Yves Chiron

samedi 6 décembre 2008

[Présent] Crise de l’Eglise et prophétie

Article d'Yves Chiron - Présent - 6 décembre 2008

Le 2 octobre 1999, les « secrets » révélés par la Vierge Marie aux deux bergers de La Salette, le 19 septembre 1846, ont été découverts, dans les archives de l’ex-Saint-Office, par l’abbé Michel Corteville. Les textes, rédigés par les deux voyants, Mélanie Calvat et Maximin Giraud, avaient été remis au pape Pie IX le 18 juillet 1851. Ils étaient considérés comme perdus.

Ces textes ont fait l’objet d’une thèse de doctorat en théologie qui a été soutenue par l’abbé Corteville en 2000 à l’Angelicum, l’université pontificale des Dominicains. Cette thèse a commencé à être publiée, dans son texte intégral, en 2001. Elle a été reprise, sous une forme plus accessible à un large public, dans un ouvrage publié par l’abbé Corteville et l’inévitable René Laurentin, Découverte du secret de La Salette (Fayard, 2002).

Cette découverte, inespérée, de 1999 est un événement considérable pour l’historiographie de La Salette. Les versions du secret révélé à Mélanie, qui avaient été publiées précédemment, notamment celle publiée en 1879, avec l’imprimatur de Mgr Zola, évêque de Lecce, s’en trouvent en partie confirmées et en partie rectifiées sur certains points importants.

Cette découverte est-elle aussi un événement considérable pour l’Eglise d’aujourd’hui, un événement qui vient à son heure pour aider et éclairer les fidèles d’aujourd’hui ?

On remarquera d’abord que cette découverte du texte original de La Salette n’a pas cassé les vieux réflexes des uns et des autres. En 1991, le P. Stern, considéré comme un des principaux spécialistes de La Salette, estimait, dans sa volumineuse trilogie sur le sujet, que le texte publié en 1879 était une extrapolation, autant dire un tissu d’affabulations pieuses. Selon lui, « les secrets entendus par Maximin et Mélanie le 19 septembre 1846 concernent les voyants eux-mêmes ».

Cette affirmation, pour le moins imprudente, date d’avant la découverte de 1999. Pourtant, en 2006 encore, le chapelain du sanctuaire Notre-Dame de La Salette, a publié un livre sur l’apparition de 1846 (Maurice Tochon, La Salette, Editions de Paris) où il ignore le texte authentique publié ou feint de l’ignorer. Il se contente de traiter par le mépris des « documents, présentés comme ”les secrets de La Salette” [qui] ne font guère que recopier des documents du même genre qui circulent depuis la restauration religieuse et politique. »

Inversement, nombre de ceux qui prennent au sérieux le « secret de La Salette » persistent à se référer, et à publier, le texte édité en 1879, alors qu’il n’est pas le texte authentique du secret révélé en 1846 et remis au Pape en 1851.

« Rome perdra la foi » ?

« Rome perdra la foi… elle deviendra le siège de l’antéchrist… Il y aura une éclipse de l’Eglise » : ces paroles que la Sainte Vierge aurait dites à Mélanie en 1846 sont reprises aujourd’hui, par certains, comme une prophétie décrivant la situation actuelle de l’Eglise, la crise qu’elle traverse et qui est loin d’être terminée.

Pourtant, aucune des paroles citées ci-dessus ne se trouve dans le texte authentique du secret révélé à Mélanie ; elles figurent dans le texte édité en 1879.

Dans le texte authentique du secret révélé à Mélanie, il y a des avertissements terribles et des prophéties. Certaines se sont réalisées : « Le pape sera persécuté de toutes parts : on lui tirera dessus, on voudra le mettre à mort, mais on ne lui pourra rien, le vicaire de Dieu triomphera encore cette fois » ; ou encore quand il est question des persécutions qui s’abattront sur le clergé et sa cohorte de martyres. D’autres prophéties ne se sont pas réalisées ou pas encore : « Paris […] périra infailliblement. Marseille sera détruite en peu de temps » ou « Un grand roi montera sur le trône, et régnera pendant quelques années ».

Le fidèle n’est pas tenu d’accorder foi à la littéralité de tels textes qui ne sont pas un complément à la Révélation de l’Evangile. Il serait téméraire, en revanche, d’en nier l’authenticité.

Les prophéties de La Salette, comme toutes les prophéties, sont conditionnelles (« s’ils ne se convertissent pas […] si la face de la terre ne change pas »). Saint Thomas, dans la Somme contre les Gentils (l. III, ch. 154), rappelle que la prophétie d’Isaïe sur la mort d’Ezéchias et celle de Jonas sur la destruction de Ninive ne se sont pas réalisées, « selon l’opération de Dieu qui libère et qui guérit ».

Yves Chiron

samedi 29 novembre 2008

[Présent] Mission, catéchisme et martyre

Article d'Yves Chiron - Présent - 29 novembre 2008

Le 24 novembre dernier, à Nagasaki, 188 chrétiens morts en martyr au Japon entre 1603 et 1639 ont été béatifiés par le cardinal José Saraiva Martins, préfet émérite de la Congrégation pour les causes des saints. Ils rejoignent les centaines de fidèles, missionnaires ou japonais, morts pour la foi au Japon et déjà béatifiés ou canonisés.

C’est en 1627 que les premiers chrétiens morts en martyr au Japon ont été portés sur les autels : trente ans après leur crucifixion à Nagasaki, le franciscain Pierre-Baptiste Blasquez, le jésuite Paul Miki et vingt-quatre autres religieux et laïcs étaient proclamés bienheureux par le pape Urbain VIII. Ils seront canonisés par Pie IX le 9 juin 1862.

Si l’on examine les centaines de béatifications qui ont suivi, sous Pie IX, sous Jean-Paul II et celles d’il y a quelques jours, on relève un nombre très important de laïcs. Parmi les béatifiés du 24 novembre, on compte vingt-huit couples, qui ont été mis à mort ensemble, in odium fidei. On relève même des familles entières. Par exemple, cette famille de Kyoto, Jean Hashimoto Tahyoe, son épouse Thecla et leurs cinq enfants (Catherine 13 ans, Thomas 12 ans, François 8 ans, Pierre 6 ans et Louise 3 ans), mis à mort le 6 octobre 1619.

Cet héroïsme dans la foi, jusqu’à l’acceptation de la mort, suscite bien sûr l’admiration. Il est aussi le fruit des méthodes missionnaires. Après l’apostolat de saint François-Xavier, dans les années 1550, l’autre grand évangélisateur du Japon fut Alexandre Valignano qui était Visiteur de tous les missionnaires jésuites en Asie. Il a effectué de longs séjours au Japon, entre 1578 à 1601. Son activité missionnaire a pris trois directions. Une certaine adaptation aux mœurs et coutumes japonaises : par exemple, accepter « les lois et coutumes japonaises quand elles ne sont pas contraires à la loi divine » ou porter des vêtements de soie plutôt que de coton. Deuxièmement, enseigner un catéchisme solide, « gage de persévérance » écrivait-il. Troisièmement, former une élite chrétienne japonaise et un clergé japonais : le premier séminaire sera ouvert en 1580, le premier prêtre japonais sera ordonné en 1601.

La « méthode catéchétique » de Valignano

Dans la Relation missionnaire qu’il a rédigée en 1583, Valignano a exposé la « méthode catéchétique » employée par ses missionnaires et par lui-même :

« La méthode à suivre dans toutes les conversions est d’enseigner très bien le catéchisme. On l’explique en général en sept leçons. On montre les erreurs et la fausseté des “sectes“, l’existence d’un seul Dieu qui donne aux âmes récompenses et châtiments ; on prouve aussi que l’âme est immortelle ; on traite de la venue de Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ et de toute la doctrine essentielle de notre sainte loi. Ceux qui se décident à devenir chrétiens écrivent alors en leur langue le Credo, le Pater noster et l’Ave Maria, les commandements et d’autres prières, et ils les illustrent avec beaucoup de soin, car ils aiment tous faire cela. En général, après ces premiers enseignements, ceux qui deviennent chrétiens s’écartent entièrement du culte des idoles, et concluent par raison qu’il s’agit de fausses sectes. Mais comme ils sont ignorants et à peine initiés à notre foi, ils ne deviennent des chrétiens bons et dévots qu’avec le temps et une longue formation. »

Le jésuite qui a édité, en 1990, cette Relation missionnaire, a pris, dans son commentaire, le contre-pied de son prédécesseur et rejette sa méthode catéchétique : « Inutile de dire, écrit le P. Bésineau, qu’aujourd’hui la démarche serait plutôt inverse, à moins que l’on ne dégage de la doctrine des “sectes“, d’autrefois et d’aujourd’hui, ce qu’elle recèle de positif et de “naturellement chrétien“. »

Cette acculturation extrême, et doctrinalement périlleuse, risque de remettre toujours à plus tard l’ « annonce » de la foi et le « témoignage » remplace l’enseignement.

Le P. Valignano, lui, pensait que « si quelqu’un les forme, [les catéchumènes] ne tardent pas à être bons ; ils sont tous en effet doués, intelligents et très avides d’apprendre, de venir aux messes, sermons, cérémonies, de se confesser et de recevoir, quand on le leur permet, le Très Saint sacrement ; ils se forment vite quand il y a des ouvriers et deviennent excellents. »

Les milliers de martyrs au Japon, entre 1596 et 1640, témoignent aussi du bon travail des « ouvriers » de l’Evangile.

Yves CHIRON

samedi 22 novembre 2008

[Présent] L'Eglise et les dons d'organes

Article d'Yves Chiron dans Présent - 22 novembre 2008

En recevant dernièrement les participants à un congrès organisé par l’Académie pontificale pour la vie, Benoît XVI a rappelé que l’Eglise n’est pas opposée aux dons d’organes : « l’acte d’amour que l’on exprime par le don de ses organes vitaux reste un véritable témoignage de charité qui sait regarder au-delà de la mort pour que la vie l’emporte toujours ».

Mais son discours contient une mise en garde et une interrogation qu’on ne saurait négliger.

La mise en garde vise la marchandisation des organes. « Le corps ne pourra jamais être considéré comme un simple objet », le prélèvement d’organes ne peut être « un acte forcé », il doit faire l’objet d’un « consensus informé ».

L’interrogation est tout aussi importante. Le Pape juge « nécessaire de lever les préjugés et les malentendus, de dissiper les méfiances et les peurs pour les remplacer par des certitudes et des garanties ». La « méfiance » et la « peur » qu’évoque Benoît XVI ont notamment trait à la constatation de la mort.

Pie XII, le premier, avait donné le jugement de l’Eglise sur ces sujets : le 30 septembre 1954, dans une allocution au VIIIe Congrès de l’Association médicale internationale, puis, plus longuement, dans une allocution à l’Association italienne des donneurs de la cornée, le 13 mai 1956. À cette époque, le don d’organes en était à ses débuts. Dans le deuxième document cité, le Pape avait donné une « orientation » très développée qui considérait la question selon différents aspects (médical, juridique, moral et religieux).

Pour résumer l’enseignement de Pie XII sur le sujet, on peut relever plusieurs points. Enlever un organe à un défunt pour secourir un vivant n’est pas une atteinte à un bien ni la privation d’un droit, car « le cadavre n’est plus, au sens propre du mot, un sujet de droit, car il est privé de la personnalité qui, seule, peut être sujet de droit ». Pour autant, les proches du défunt, les membres de sa famille en premier lieu, ont des droits et des devoirs, et donc, de ce premier point de vue, les transplantations d’organes peuvent « ne pas être irréprochables et même être directement immorales ». Par exemple si elles sont faites sans l’accord de la famille ou contre la volonté exprimée par le défunt.

Deuxième aspect envisagé par Pie XII : le cadavre ne peut être réduit à une « chose ». « Le corps était la demeure d’une âme spirituelle et immortelle, partie constitutive essentielle d’une personne humaine dont il partageait la dignité ». Ce corps mort est destiné à la résurrection et à la vie éternelle. Donc « il ne suffit pas d’envisager des “fins thérapeutiques“ pour juger et traiter convenablement le corps humain ».

Troisièmement, le don d’organes ne peut être une obligation, « un devoir ou un acte de charité obligatoire », « il faut respecter la liberté et la spontanéité des intéressés ».

Enfin, Pie XII demandait que les pouvoirs publics prennent « des mesures pour qu’un “cadavre“ ne soit pas considéré et traité comme tel avant que la mort n’ait été dûment constatée ».

C’est sur ce point précis que porte aujourd’hui l’interrogation de Benoît XVI.

Contestation du rapport de Harvard

Il y a quarante ans, le 5 août 1968, par ce qu’on a appelé la déclaration de Harvard ou le rapport de Harvard, publié dans le Journal of American Medical Association, le concept de mort encéphalique s’est imposé : la mort cérébrale (ou électro-encéphalogramme plat) devenait le signe de la mort clinique en remplacement de l’arrêt du système cardio-vasculaire. Tous les pays du monde se sont alignés sur ce concept de mort cérébrale.

L’Eglise, elle aussi, a accepté cette définition clinique de la mort. Mais, depuis une quinzaine d’années, des voix autorisées la remettent en cause. On citera, par exemple, le cardinal Meisner, archevêque de Cologne. En 1996, alors qu’une nouvelle loi sur la transplantation des organes était en discussions en Allemagne, il a fait une déclaration forte : « En l’état actuel du débat, l’identification de la mort cérébrale et de la mort de l’homme ne peut plus être soutenue d’un point de vue chrétien. L’homme ne peut pas être réduit à ses fonctions cérébrales. On ne peut pas dire que la mort cérébrale signifie la mort, ni qu’elle soit un signe de mort. »

Plus récemment, c’est en première page de l’Osservatore romano (3 sept. 2008), qu’une professeur de l’université romaine de La Sapienza, Lucetta Scaraffia, affirme que la notion de mort cérébrale est remise en cause par de nombreux scientifiques et qu’elle « entre en contradiction avec le concept de la personne de la doctrine catholique et avec les directives de l’Eglise face aux cas de comas dépassés ».

La remise en cause de la définition de la mort clinique n’est pas sans conséquence sur le don d’organes. Dans le Compendium du Catéchisme de l’Eglise Catholique, le principe défini est clair : « Pour que soit réalisé l’acte noble du don d’organes après la mort, on doit être pleinement certain de la mort réelle du donneur » (n° 476).

Yves Chiron

samedi 15 novembre 2008

[Présent] L’avenir du christianisme en Inde

Article d'Yves Chiron - Présent - 15 novembre 2008

Régulièrement, depuis des décennies, des Chrétiens, en Inde, sont victimes de persécutions violentes. La dernière vague de violences a touché l’état de l’Orissa, sur la côte est du sous-continent indien. Après l’assassinat, le 23 août dernier, d’un chef hindouiste (revendiqué, finalement, par la guérilla hindouiste), une véritable « chasse aux chrétiens » s’est engagée (cf . Présent du 23 oct. 2008). Des dizaines de chrétiens ont été tués, des milliers de maisons ont été détruites ou endommagées, des dizaines de milliers de personnes se sont réfugiées dans les forêts ou dans des camps improvisés. Nombre d’églises de la région ont été incendiées ou ont subi des destructions.

Ces violences sont apparemment le fait d’hindouistes extrémistes. Effectivement, il existe en Inde des mouvements hindouistes qui sont décidés à empêcher les conversions par tous les moyens, légaux ou violents, parce qu’elles mettent en péril, selon eux, la nation indienne. Mais les violences commises ces dernières semaines contre les Chrétiens ne sont pas le fait des seuls militants hindouistes extrémistes. Dans l’état de l’Orissa, comme dans le passé dans d’autres états indiens, une partie de la population locale s’est laissé entraîner à des actes d’une brutalité inouïe.

Faut-il ne voir là que les manifestations d’un instinct grégaire irréfléchi ? Ou l’intolérance religieuse est-elle au cœur de l’hindouisme ? Catherine Clémentin-Ojha, une sociologue française, diplômée d’hindi et de sanscrit, docteur en ethnologie, qui séjourne fréquemment en Inde, explique, dans un livre, comment et pourquoi le christianisme reste en Inde la religion d’une minorité, le plus souvent mal acceptée.

Elle rappelle qu’en Inde, le christianisme présente plusieurs caractéristiques. Il est très minoritaire : ce pays de plus d’un milliard d’habitants ne compte que 3 % de chrétiens. Le christianisme est socialement marqué : 60 % des Chrétiens sont d’origine « intouchable ». Il est très diversifié : non seulement, il y a des catholiques et les confessions protestantes les plus diverses, mais chez les catholiques coexistent des rites différents. Les Chrétiens du Kerala, au sud-ouest de la péninsule, ont été évangélisés, selon la tradition, par l’apôtre saint Thomas catholiques et sont de rite syro-malabare ; dans d’autres régions de l’Inde, le catholicisme remonte aux missionnaires portugais du XVIe siècle et sera de rite latin. Enfin, à la différence d’autres minorités religieuses (sikhs ou musulmans), les chrétiens indiens ne se caractérisent ni par une langue particulière, ni par une façon particulière de se vêtir, ni par une culture chrétienne spécifique (hormis les lieux de culte, imités des églises occidentales).

Castes et ordre social

Au-delà des croyances, évidemment incompatibles, chrétiens et hindous ont des conceptions radicalement différentes de la société. Ce ne sont pas seulement les hindouistes extrémistes qui sont hostiles aux conversions et au prosélytisme, mais l’ensemble des hindous. On est hindou par sa naissance et l’on ne peut se convertir à l’hindouisme. « Du point de vue hindou, dit Catherine Clémentin-Ojha, se convertir c’est ne plus pouvoir suivre les règles du groupe, mettre en danger la pureté de celui-ci et se mettre soi-même au ban de son groupe […] la conversion est la contraction d’une souillure ».

Du point de vue hindou, cette souillure pourra être effacée par des rites de purification, ce que les chrétiens considèreront comme une apostasie.

Si l’on se réfère à la très longue Constitution indienne – 395 articles –, on constate qu’elle interdit toute discrimination fondée sur la religion (art. 15), assure la liberté de conscience et même le droit de propager sa religion (art. 25) mais elle réduit les non-hindous au statut de minorité.

En outre, plusieurs états de l’Inde ont voté des lois pour contrôler voire empêcher les conversions. Catherine Clémentin-Ojha fait remarquer : « Ces lois interdisent l’exercice plein du droit garanti par la Constitution. Celui qui veut se convertir et vit dans un Etat dans lequel une telle loi a été votée est obligé d’aller se déclarer auprès d’un fonctionnaire pour faire connaître son intention. Il subira un interrogatoire pour savoir s’il fait cette démarche de son plein gré. En général, les gens qui se convertissent sont des gens de très basse caste, des tribaux, qui sont le plus souvent peu instruits ; on voit bien que ces mesures sont destinées à les décourager et donc à ralentir le processus ».

Les persécutions violentes contre les Chrétiens ne sont donc pas seulement le fait d’un extrémisme religieux hindou, elle sont l’expression paroxystique d’une volonté, inscrite dans la Constitution indienne, de limiter les minorités.

Yves Chiron

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Catherine Clémentin-Ojha, Les Chrétiens de l’Inde. Entre castes et Eglises, Albin Michel, 298 pages. Cf. aussi le long entretien qu’elle a accordé au site suisse Religioscope.

samedi 8 novembre 2008

[l'Homme Nouveau] Frère Roger, un personnage enigmatique

L’Homme nouveau, n° 1432, 8 novembre 2008
Propos recueillis par Philippe Maxence
Loin des légendes, la biographie historique de Frère Roger par Yves Chiron s’appuie sur des archives, des rencontres de témoins privilégiés qui la rendent à la fois crédible et digne d’intérêt. Portrait insolite du fondateur de Taizé devenu « formellement catholique ».

Vous avez publié récemment une biographie de Frère Roger, qui renouvelle profondément le sujet et qui semble avoir été un peu occultée. Est-ce votre sentiment ?
Ce livre sur Frère Roger est la première biographie historique qui lui soit consacrée. Il existe de nombreux livres sur Frère Roger, mais il relève soit du témoignage soit de la « légende dorée ». J’ai voulu faire œuvre d’histoire, c’est-à-dire rechercher les documents (dans les archives) et les confronter aux témoignages que j’ai pu recueillir. D’où des investigations nombreuses dans les archives diocésaines (Lyon et Fribourg), dans les archives du Conseil Œcuménique des Eglises à Genève, et dans d’autres archives.
Cette biographie de Frère Roger a, en fait, été occultée par une grande partie de la presse. Des publications catholiques comme La Croix ou La Vie n’en ont pas parlé (juste une référence de bas de page dans le quotidien de la rue Bayard). Le Monde, qui est pourtant à l’origine du livre en quelque sorte par l’article retentissant qu’il a consacré aux premiers résultats de mes recherches sur le sujet, n’a pas parlé non plus du livre.
En revanche, des publications catholiques et plusieurs publications protestantes (notamment l’hebdomadaire Réforme) ont recensé favorablement l’ouvrage. L’accueil de certains réseaux de librairies comme les traductions en cours (Italie et Allemagne) sont réconfortants.
La question de la conversion de Frère Roger au catholicisme a rebondi cet été après un entretien accordé par le cardinal Kasper à L’Osservatore romano (15 août 2008). Vous en avez parlé à nouveau dans votre lettre d’informations religieuses (16 rue du Berry 36250 Niherne) Aletheia. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Le cardinal Kasper avait dit au cardinal Barbarin, alors que le fondateur de Taizé était encore vivant : « Frère Roger est formellement catholique ». C’est le cardinal Barbarin qui, dans une lettre, m’a rapporté ce propos.
La Communauté de Taizé rejette le mot de « conversion » et ne veut pas être identifiée comme une communauté « catholique » ni définir l’identité religieuse de son fondateur. Dans son récent entretien à L’Osservatore romano, le cardinal Kasper évite désormais le qualificatif de « catholique ».
Pourquoi finalement son passage au catholicisme n’a pas eu la même clarté que celui de son ami Max Thurian ?
Ni chez Frère Roger ni chez Max Thurian, il n’y a eu de conversion soudaine, il y a eu, comme vous le dites un « passage », qui a été progressif. Sur des points de doctrine aussi importants que la présence réelle dans l’eucharistie, la primauté de l’ « évêque de Rome » et de son ministère d’unité ou la réalité du sacrement de la confession, il y a eu, chez les deux hommes, une évolution parallèle, même si elle a emprunté des chemins différents.
Mais si Max Thurian est allé jusqu’au bout de cette évolution spirituelle et doctrinale en devenant prêtre catholique, Frère Roger n’a pas voulu diviser la communauté dont il était le fondateur et le prieur, il a eu peur aussi de peiner ses amis protestants. Il n’a pas officialisé sa communion de foi avec l’Eglise catholique. Les autorités catholiques l’encourageaient dans ce sens.
Dans votre biographie, vous retracez notamment l’itinéraire du grand-père de frère Roger. En quoi est-ce important pour éclairer sa possible conversion au catholicisme ?
C’est un des sujets tabous de Taizé. Frère Roger a évoqué son père pasteur, la lignée de pasteurs dont est issue sa mère. Mais jamais, dans ses écrits ou ses conférences, il n’a évoqué l’itinéraire particulier de son grand-père maternel qui, né catholique, a voulu devenir prêtre, a été ordonné sous-diacre puis a quitté le séminaire au moment du concile Vatican I. Il a été ensuite un des premiers prêtres de l’Eglise vieille-catholique avant de devenir pasteur protestant. Frère Roger a accompli, en quelque sorte, le chemin inverse : par esprit de réconciliation et, peut-être, de réparation.
On s’étonne de l’attirance de Roger Schutz pour le mode de vie monastique, qui sans être totalement absent du monde protestant, est quand même très minoritaire. D’où vient ce goût pour la vie en communauté ?
La famille Schutz, qui comptait neuf enfants, était déjà une petite communauté. Frère Roger a dit lui-même que la découverte de l’histoire de Port-Royal (la communauté des religieuses mais aussi la communauté laïque des Solitaires), dès l’enfance, l’a beaucoup marqué. Puis, dans les années 30, en Suisse et en Allemagne, en France, des communautés protestantes ont commencé à voir le jour. Le jeune Roger Schutz a visité certaines d’entre elles qui l’ont influencé. Enfin, il a étudié personnellement l’histoire du premier monachisme, sa thèse de licence en théologie en témoigne.
Finalement, si Taizé est aujourd’hui mondialement connu, on sait peu de choses de sa fondation. Comment est née la Communauté de Cluny ?
Le jeune Roger Schutz a eu le projet, d’abord, d’une communauté intellectuelle. L’idéal communautaire était dans l’air du temps à la fin des années 30. Puis le projet évoluera vers une communauté plus restreinte et plus spirituelle qui, finalement, deviendra le premier « monastère protestant » en France.
Avec le Frère Roger, quels furent les fondateurs de cette nouvelle communauté ? Et qu’apportent-ils de spécifique ?
Max Thurian peut-être considéré comme le co-fondateur de Taizé. Il est étudiant en théologie pour devenir pasteur lorsqu’il rencontre le jeune Roger Schutz. Celui-ci a déjà mis sur pied un embryon de « communauté » intellectuelle. Max Thurian va lui faire découvrir le mouvement liturgique protestant « Eglise et Liturgie », qui sera si important dans l’orientation de Taizé. Thurian est aussi un intellectuel, un théologien, qui va compléter Roger Schutz plus méditatif, poète dans l’âme, moins conscient des questions et des enjeux de doctrine.
Frère Roger a-t-il exprimé une opinion particulière sur l’événement que fut le Concile Vatican II et notamment sur la réforme liturgique qui a suivi ?
Frère Roger et Frère Max ont été invités au concile Vatican II par Jean XXIII, comme « observateurs ». Ils assisteront aux quatre sessions (1962-1965). Max Thurian a collaboré à la rédaction de certains textes conciliaires. Leur présence quotidienne au concile a été une étape déterminante de leur vie comme de l’histoire de Taizé. Mais l’influence a été à double sens. La découverte du vrai visage de Rome, la rencontre quotidienne avec des cardinaux, des évêques, des théologiens de tous pays ont modifié leur compréhension du catholicisme. Et ces années passées à Rome ont, bien sûr, favorisé leur évolution vers le catholicisme.
En même temps, leur présence à Rome et leur habileté dans le « faire-savoir », ont fait connaître Taizé à tous les évêques. Dans l’esprit œcuménique qui se développait à cette époque, Frère Roger et Frère Max sont apparus comme des interlocuteurs privilégiés, voire comme des modèles.
Quant à l’évolution de la liturgie, il ne faudrait pas majorer l’influence de Taizé. Certes Max Thurian a fait partie des observateurs protestants qui ont participé aux travaux du Consilium chargé de préparer la nouvelle messe après le concile Vatican II. Mais ces observateurs protestants ne furent que six et il serait absurde de considérer qu’ils ont plus d’importance que la centaine de membres catholiques du même Consilium.
Quand la nouvelle messe a été promulguée, Max Thurian s’en est réjoui estimant que des « communautés non catholiques » pourraient la célébrer. Mais dans un autre article, moins connu, il reconnaît aussi que « la doctrine du sacrifice et celle de la présence réelle y sont encore affirmées » et que donc beaucoup de protestants ne pourront l’adopter.
La communauté de Taizé a-t-elle traversé des crises, des départs et dans quelle mesure la responsabilité de son fondateur a été alors engagée ? Qu’est-ce qui caractérise selon vous la personnalité de Frère Roger ?
Toute communauté connaît des départs, plus ou moins douloureux. Soit il s’agit de raisons personnelles, soit il s’agit de questions de fond. Taizé est toujours resté très discrète sur son histoire interne. Depuis longtemps, on ne sait pas exactement combien la communauté compte de frères.
Pour la préparation de mon livre, j’ai pu lire certains écrits d’un des premiers frères, aujourd’hui décédé, et ceux d’un ancien frère, qui a passé vingt-deux ans da la communauté. La figure de Frère Roger qui se dégage est assez différente de l’image publique qu’il donnait, mais cela est vrai , sans doute, de tous les fondateurs de communauté. Un mélange de douceur – un côté « maternel » – et d’autoritarisme, un souci de la préséance qui peuvent susciter des conflits voire des rancœurs.
Quelle vision précise de l’œcuménisme avait Frère Roger ?
Cette vision a évolué avec le temps. Très tôt, il y a l’idée d’une « Eglise indivise » (qui lui vient du mouvement « Eglise et Liturgie »), une Eglise dont l’Eglise catholique ne serait qu’une des branches. Après le concile Vatican II, dès la fin des années 60, Frère Roger va multiplier les déclarations sur « l’indispensable ministère d’unité de Pierre », un rôle fédérateur accompli par le Pape et que devraient reconnaître toutes les Eglises non catholiques. Les conséquences théologiques de la reconnaissance d’un tel ministère n’ont jamais été explicitées par Frère Roger, ni les conséquences pratiques. Mais on voit bien que, à titre personnel, le fondateur de Taizé en est arrivé à cette reconnaissance du ministère de Pierre parce qu’il a vu l’impasse des dialogues œcuméniques de son époque.
Si on connaît l’admiration qu’éprouvait Jean-Paul II pour frère Roger, on ignore davantage en milieu catholique les liens précis entre Taizé et le monde protestant officiel. Quels étaient-ils du temps de frère Roger ?
Frère Roger a plusieurs fois répété que les plus grandes difficultés lui sont toujours venues de l’Eglise réformée, son église d’origine. Chez les réformés, français ou étrangers, il y a toujours eu de l’admiration pour la communauté que frère Roger avait réussi à bâtir et l’aura qu’elle avait et de la méfiance à l’égard de ses orientations théologiques. Ils craignaient que Taizé se catholicise de plus en plus et les crises publiques ou privées n’ont pas manqué.
De son côté, Frère Roger avait la hantise de ne rompre avec personne. Après les crises ou les prises de distance avec certaines instances protestantes, il a toujours réussi à se réconcilier ou, du moins, à normaliser les relations.
Le mot d’ « ambiguïté » a été fréquemment employé, et aujourd’hui encore, à propos de Taizé. Le mot est utilisé par des protestants comme par des catholiques.
Au final, on vous connaît comme un auteur catholique plutôt traditionnel. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à ce sujet ?
J’ai rencontré l’histoire de Taizé lorsque je préparais une biographie de Paul VI, en 1993 (Paul VI a été très lié, bien avant d’être pape, avec les fondateurs de Taizé). A cette époque, j’ai visité Taizé et je suis rentré en relations épistolaires avec Max Thurian. Puis, en 2005, lors des obsèques de Jean-Paul II, la communion catholique donnée à Frère Roger par celui qui était à l’époque le cardinal Ratzinger m’a surpris, comme la plupart des cardinaux et évêques présents. D’où le début d’une enquête, d’ordre historique, sur Taizé et son fondateur. Les premiers résultats, que j’ai publiés en 2006 dans Aletheia, et que Le Monde a repris, avec un titre sensationnaliste, ont suscité une controverse qui a largement dépassé les frontières de la France. Des centaines de journaux ont découvert la « conversion » de Frère Roger. Le mot a été vivement rejeté par le Prieur actuel de Taizé. On peut employer un autre mot pour décrire son cheminement, mais il reste que le qualificatif catholique ne peut lui être dénié.
Publié dans l’Homme nouveau, n° 1432, 8 novembre 2008.
Yves Chiron, Frère Roger, Perrin, 414 pages, 21,50 euros.

[Présent] Notre-Dame du Dimanche

Présent, 8 novembre 2008

Les rares enfants de France qui apprennent encore le catéchisme traditionnel connaissent le premier des cinq commandements de l’Eglise : « Entends la Messe les dimanche et autres fêtes de précepte ». Ce commandement est la conséquence logique, chrétienne, du troisième précepte du Décalogue : « Souviens-toi de sanctifier les fêtes. »

Le gouvernement qui veut faire voter une loi pour « libéraliser » le travail le dimanche a oublié ces commandements. Les quelques rares députés de la majorité présidentielle qui expriment leur désaccord avec ce projet de loi n’osent pas se référer à ces commandements et n’osent employer le mot de « messe » ou de « Jour du Seigneur ».

Le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique, promulgué par Benoît XVI et destiné aux catéchistes, aux parents ou aux chrétiens déjà instruits, rappelle ces commandements et les explicite (notamment par les réponses aux questions 432, 453 et 454). Le dimanche, « premier jour de la semaine » (Mc 16, 2), est le Jour du Seigneur, « qui, dans sa Pâque, porte à son achèvement le sabbat juif et annonce le repos éternel de l’homme en Dieu ». Le Compendium donne aussi les raisons sociales d’une « reconnaissance civile du dimanche comme jour festif » : « Pour que soit donnée à tous la possibilité effective de jouir d’un repos suffisant et d’un temps libre permettant de cultiver la vie religieuse, familiale, culturelle et sociale ; de disposer d’un temps propice à la méditation, à la réflexion, au silence et à l’étude ; de se consacrer aux bonnes œuvres, en particulier au profit des malades et des personnes âgées. »

C’est la faiblesse humaine qui a obligé Dieu, dans le Décalogue, et l’Eglise, dans ses cinq commandements, à rappeler la nécessité de sanctifier les jours consacrés au Seigneur. D’autres rappels surnaturels ont été faits par l’intermédiaire de la Vierge Marie en certaines de ses apparitions.

Sur la longue durée, il y a eu deux étapes dans la contestation des jours consacrés à Dieu. À partir de la Réforme protestante, au nom du Deo solo, on ne célèbre plus les fêtes des saints et les fêtes de la Vierge. La Vierge Marie intervient, à plusieurs reprises, maternellement. Le 25 mars 1649, en sa fête de l’Annonciation, elle se manifeste à un paysan protestant du Dauphiné qui travaille ce jour-là, bien que ce soit jour de fête chômée dans tout le royaume. Elle se manifeste par le miracle d’un osier qui saigne puis, elle reviendra, dans une apparition, pour convertir le paysan protestant. C’est l’origine du sanctuaire de Notre-Dame-de-l’Osier, près de Vinay.

« Vous serez heureux le dimanche en famille »

La deuxième étape de la contestation des jours consacrés à Dieu intervient à partir de la Révolution. Le calendrier républicain fait disparaître le dimanche en instituant des semaines de dix jours. Il ne sera en vigueur que pendant quelques années, mais la mort civile du dimanche durera tout au long du XIXe siècle ; ce n’est qu’au début du siècle suivant, en 1906, qu’une loi instituera le repos hebdomadaire dominical.

Durant tout le XIXe siècle, en France, mais aussi à l’étranger, la Vierge Marie apparaît pour rappeler l’obligation de sanctifier le dimanche. À La Salette (1846), elle déplore que « le septième jour » ne soit plus réservé à Dieu et l’habitude des blasphèmes.

À Porzus (1855), en Italie, elle apparaît à une petite fille que sa mère a envoyée ramasser de l’herbe. C’est un dimanche qui est aussi, cette année-là, fête de la Nativité de la Vierge. Notre-Dame apparaît pour transmettre un message : « On ne doit pas travailler les jours de fête ! […] Dis à tous de sanctifier le jour du Seigneur et de ne pas blasphémer, parce que en faisant cela ils offensent mon Fils et blessent mon cœur maternel. De plus je désire que soient observés les jeûnes et les vigiles. »

À Saint-Bauzille-de-la-Sylve (1873), dans le Midi viticole, autre apparition reconnue par l’Eglise, la Vierge Marie se manifeste, un dimanche encore, à un vigneron qui travaillait dans sa vigne depuis plusieurs heures. Elle vient demander de ne pas abandonner les pèlerinages locaux et, lors d’une deuxième et dernière apparition, un mois plus tard, elle a ces paroles de sollicitude maternelle :

Il ne faut pas travailler le dimanche.
Heureux celui qui croira, malheureux celui qui ne croira pas.
Il faut aller à Notre-Dame-de-Gignac en procession.
Vous serez heureux avec toute la famille.

À Saint-Bauzille, un sanctuaire a été construit sous le vocable de Notre-Dame du Dimanche.

Le rappels célestes sont simples : le dimanche est le jour du culte rendu à Dieu, du détachement des soucis et des peines de tous les jours et ainsi du bonheur de se retrouver en famille.

Yves Chiron

samedi 1 novembre 2008

[Présent] A 40 ans de la mort de saint Padre Pio

Présent, 1er novembre 2008

Les dictionnaires de noms propres, s’ils s’intéressaient à Padre Pio, pourraient faire tenir sa vie en quelques lignes : « Padre Pio (Francesco Forgione) 1887-1968, religieux capucin italien, stigmatisé pendant cinquante ans, fondateur de la Casa Sollievo della Sofferenza, un des plus modernes hôpitaux du sud de l’Italie. Canonisé par Jean-Paul II en 2002 ».

Ce serait déjà beaucoup si, entre Paderewski et Paracelse, on trouvait ces quelques informations factuelles sur Padre Pio. Bien sûr, cela ne suffirait pas à faire comprendre l’importance de Padre Pio pour l’Eglise et, au-delà de l’Eglise, pour notre monde contemporain. Quand il s’est éteint il y a quarante ans, le 23 septembre 1968, beaucoup avaient le sentiment que venait de mourir une des figures les plus extraordinaires de l’Eglise au XXe siècle. Paul VI dira plus tard à ses confrères capucins : « Voyez quelle renommée il a eue ! Quelle foule mondiale n’a-t-il pas rassemblée autour de lui ! Mais pourquoi ? Etait-il philosophe, savant ? Disposait-il de moyens énormes ? Non. Il disait humblement la messe, confessait du matin au soir et était — c’est difficile à dire — le représentant de Notre-Seigneur, marqué des plaies de notre Rédemption. Un homme de prière et de souffrance. C’est la raison pour laquelle nous lui portons une si reconnaissante affection. »

Il a souffert par l’Eglise

Cette « reconnaissante affection », l’Eglise, en certains de ses plus éminentes autorités, ne l’a pas toujours manifestée à l’égard du Padre Pio. À certaines époques, elle l’a même condamné et humilié. On peut dire que Padre Pio a souffert par l’Eglise.

Lorsque Padre Pio reçoit les stigmates du Christ, le 20 septembre 1918, les autorités du couvent furent prudentes. Ce qui est normal. Elles firent procéder à de nombreux examens médicaux. Mais Rome, à partir du pontificat de Pie XI, se fit accueillante aux adversaires de Padre Pio. Il y en eut deux principaux : le P . Gemelli, jésuite, ancien médecin, recteur de l’université catholique de Milan, ami du pape, qui sans avoir examiné le Padre Pio et après l’avoir croisé deux minutes dans les couloirs du couvent, avait rédigé un rapport concluant à l’ « hystérisme ». Il y eut aussi, Mgr Gagliardi, archevêque de Manfredonia, diocèse où se trouve le couvent de San Giovanni Rotondo, qui, lui, colporta rumeurs et calomnies. Le Saint-Siège multiplia les interventions de plus en plus rigoureuses : une délibération » du Saint-Office en 1922, une « déclaration » en 1923, un « avertissement » en 1924. L’avertissement était un décret solennel de condamnation : après enquête, était-il dit, « la surnaturalité des faits n’a pas été constatée ».

Les thèses à vernis scientifique d’un jésuite scientifique et les mauvaises intentions d’un évêque qui fut tout sauf un évêque exemplaire – il sera sanctionné plus tard – avaient suffi à convaincre le Saint-Office et le Pape. En 1931, un nouveau décret du Saint-Office retirera à Padre Pio « toutes les facultés du ministère sacerdotal, exceptées celles de célébrer la sainte messe […] en privé ».

En ces années, où Padre Pio souffrait par l’Eglise, sa vie fut « un miracle d’obéissance », selon l’expression du poète Pierre Pascal qui fut un de ses fils spirituels. Obéissance à sa vocation religieuse et à ses vœux de religion, obéissance aux ordres injustes venus de Rome et de ses supérieurs. Il obéissait, souffrait en silence et priait.

À partir de 1933, les mesures prises à l’encontre du Padre Pio furent progressivement levées après qu’une visite apostolique ordonnée par Pie XI eût rendu des conclusions favorables. Sous le pontificat de Pie XII, il n’y eut plus de restrictions au ministère de Padre Pio (messe en public, confession, direction spirituelle).

Sous le pontificat de Jean XXIII, la cupidité de certains qui convoitaient les offrandes innombrables qui affluaient à San Giovanni Rotondo et l’animosité d’un évêque, Mgr Bortignon, hostile au « charismatisme » de Padre Pio, se conjuguèrent pour aboutir à une nouvelle persécution. C’est Paul VI qui, au début de son pontificat, ordonnera que le Padre Pio puisse à nouveau exercer « son ministère sacerdotal en pleine liberté. » Il ne lui restait que cinq années à vivre.

Ce qu’un Pape fait, seul un autre pape peut le défaire. Le dicton s’est vérifié à propos d’autres interdictions (celle de la messe traditionnelle, par exemple). Dans le cas de Padre Pio, on voit bien que s’il a souffert par l’Eglise, par les décisions injustes de certains autorités ecclésiastiques, il a souffert pour l’Eglise et pour le monde. Par les souffrances des stigmates portés pendant exactement cinquante années, il a revécu, par participation, les souffrances du Christ. Cette participation à la Passion du Christ en plein XXe siècle a rappelé, et de quelle manière sensible et impressionnante, la réalité du monde surnaturel et la nécessité de la Rédemption.

Ce rappel était à l’intention d’un monde de plus en plus éloigné de Dieu mais aussi à l’intention d’une Eglise qui, en certains de ses membres enseignants, doutait de plus en plus de sa foi.

Yves CHIRON

samedi 25 octobre 2008

[Présent] Exégèse et foi

Présent, 25 octobre 2008

Jean Madiran écrivait, il y a quelques jours, que le catholicisme reste traversé « aujourd’hui plus que jamais » par le modernisme. « La crise est majeure. Elle n’a pas reculé. Elle bat son plein. » (Présent, 17.10.2008).
Bien sûr, l’observation est juste, le propos n’est pas exagéré. Ne prenons qu’un exemple. Un livre sur Jésus, paru chez un grand éditeur, estime que la question des frères et des sœurs du Christ fait partie des opinions libres. Le débat « n’est pas clos » estime son auteur. « Il serait présomptueux de vouloir trancher » affirme-t-il encore. Mais, sur le sujet, il ne cite en note de bas de page que trois ouvrages qui soutiennent la thèse que Jésus a eu des frères et des sœurs selon la chair.
La thèse, contredite par l’histoire sérieuse et l’exégèse croyante, a été reprise à satiété par des journalistes à la recherche d’un succès de librairie (Jacques Duquesne) ou par des non-chrétiens (Alain de Benoist). Mais, cette fois, celui qui estime que le débat « n’est pas clos » n’est rien moins qu’un oratorien, recteur de l’Université catholique de Lyon (cinq Facultés, dont celle de théologie, et six Ecoles supérieures). Il avait enseigné précédemment pendant vingt-cinq ans à l’Institut catholique de Paris. Il est aussi président de l’UNESCA (Union des Etablissements d’Enseignement Supérieur Catholiques).
Autant dire que le P. Michel Quesnel est une autorité dans le monde universitaire catholique. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a obtenu le Prix de littérature religieuse en 2006. Je ne suis pas allé voir plus avant si dans ses livres il malmenait d’autres dogmes — car admettre l’hypothèse de frères et de sœurs de Jésus selon la chair c’est déjà nier la foi en la virginité de Marie.

« Absence d’une herméneutique de la foi »

Benoît XVI a conscience de la misère d’une certaine forme d’exégèse, celle qui s’enseigne y compris dans certaines facultés de théologie et dans certains livres primés. Une exégèse, dit le Pape, où l’on avance « des interprétations qui nient l’historicité des éléments divins. »
Devant le synode des évêques réuni à Rome, justement consacré à « La Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Eglise », Benoît XVI a déploré les dérives, « les problèmes et les risques » de l’exégèse moderne.
Il a rappelé les « trois éléments méthodologiques fondamentaux » qui doivent guider l’étude chrétienne de la Bible : « 1) interpréter le texte en ayant présente à l’esprit l’unité de toute la Sainte Ecriture […] 2) il faut aussi avoir présente à l’esprit la tradition vivante de toute l’Eglise, et enfin 3) on doit respecter l’analogie de la foi. »
Quand on sort de l’ « herméneutique de la foi », dit le Pape, « un autre type d’herméneutique apparaît nécessairement, une herméneutique sécularisée, positiviste, dont la clé fondamentale est la conviction que le Divin n’apparaît pas dans l’histoire humaine. »
Benoît XVI, dans l’avant-propos du livre sur Jésus qu’il a publié l’année dernière, avait déjà montré l’exemple en allant « au-delà de l’interprétation historico-critique » pour offrir « une interprétation proprement théologique ».
De Renan à Bultmann et à ses épigones catholiques, une certaine histoire biblique et une certaine exégèse se sont développées qui ont séparé toujours plus le « Jésus de l’histoire » et le « Christ de la foi ». Le Jésus de l’histoire est de plus en plus inaccessible, dit-on, parce que le Jésus que nous présentent les Evangiles est déjà une construction « dans la foi » et non plus un récit historique inspiré.
Benoît XVI, dans le livre cité, a rejeté cette supposée contradiction. Il écrit en effet : « je fais confiance aux Evangiles. Bien entendu, on présuppose tout ce que le Concile et l’exégèse moderne nous disent sur les genres littéraires, sur l’intention des affirmations, sur le contexte communautaire des Evangiles et de leur parole dans cet ensemble vivant. En intégrant tout cela, du mieux que j’ai pu, j’ai néanmoins voulu tenter de représenter le Jésus des Evangiles comme un Jésus réel, comme un “Jésus historique“ au sens propre du terme. [Je crois précisément que ce Jésus, celui des Évangiles, est une figure historiquement sensée et cohérente. »

Yves Chiron

samedi 18 octobre 2008

[Présent] Renouveau du thomisme en France?

Présent, 18 octobre 2008


Dans ses souvenirs, déjà cités ici, le père Jean-Miguel Garrigues raconte comment, dans les années 1960-70, dans le grand couvent de formation dominicaine du Saulchoir, l’étude de saint Thomas était plus que déficiente. Dans les années 40-50, il y avait déjà eu la réduction historicisante menée par la fameuse Ecole du Saulchoir (le P. Chenu et d’autres). Dans les années 60-70, la morale de saint Thomas n’était plus enseignée.

Un autre dominicain, d’une génération à peine postérieure, le P. Bonino, a vécu la même expérience: «Le thomisme a connu dans l’Eglise une forte désaffection après Vatican II. La plupart des clercs ont surtout rejeté ce qu’ils avaient vécu, à tort ou à raison, comme une sorte de pensée officielle stérilisée, un véritable carcan idéologique. D’autres ont estimé que la rupture introduite par la modernité était si profonde qu’une pensée d’origine médiévale comme le thomisme ne pouvait plus répondre aux questions d’aujourd’hui et servir à une intelligence contemporaine de la foi. Il faut refaire, disait-on, avec Hegel, Marx ou Freud ce que saint Thomas avait fait avec Aristote.»

Le thomisme avait connu un certain renouveau en France dans la première moitié du XXe siècle, mais il faut reconnaître que ce fut davantage dans le domaine de la philosophie que dans celui de la théologie, bien plus à l’université que par les séminaires et les couvents d’études. Les Jésuites, par exemple, à travers ce qu’on a appelé l’Ecole de Fourvière (Henri de Lubac, etc.) suivent, notamment après la Deuxième Guerre mondiale, une autre voie, promouvant une théologie positive davantage fondée sur les sources scripturaires et patristiques.

Les Dominicains, dès la fin des années 50, donc avant le concile Vatican II, participent d’un mouvement plus général, en France du moins, qui abandonne la doctrine de saint Thomas ou la réduit à l’état d’un objet historique à étudier.

Dans ce domaine, comme en d’autres, le concile Vatican II n’a pas su enrayer le mouvement. Pourtant, dans le décret sur la formation des prêtres, l’étude de saint Thomas est recommandée, mais comme une ultime étape. En effet, le concile préconise une voie progressive pour la formation des séminaristes: études bibliques, études patristiques «puis pour mettre en lumière, autant qu’il est possible, les mystères du salut, ils apprendront à les pénétrer plus à fond, et à en percevoir la cohérence, par un travail spéculatif, avec saint Thomas pour maître.»

Paul VI avait, avant le décret, à plusieurs reprises, recommandé l’étude de saint Thomas: «Il y a chez le Docteur angélique tant de puissante intelligence, tant de sincère amour de la vérité, tant de sagesse dans l’approfondissement, la présentation et la synthèse des plus hautes vérités, que sa doctrine est l’instrument le plus efficace non seulement pour asseoir la foi sur des bases sûres, mais aussi pour percevoir d’une façon efficace et assurée les fruits d’un sain progrès.»

Comment et pourquoi de telles recommandations sont restées inopérantes, en France du moins, n’ont pas réussi à renverser une tendance, il faudrait, pour commencer à le comprendre, se livrer à une étude systématique et documentée du fonctionnement et des programmes des séminaires et des couvents d’études dans les années 60-70 et même 80.

La loi naturelle

En France, les éditions des œuvres de saint Thomas d’Aquin ont connu un nouvel essor depuis les années 1980. Soit des rééditions, soit des traductions nouvelles. Les Sommes (théologique et Contre les Gentils), le Compendium de théologie sont disponibles en édition annotée. Fait nouveau, les Commentaires de saint Thomas d’Aquin sur l’Ecriture Sainte, qui, pour certains n’avaient jamais été traduits, ont fait et font l’objet d’éditions bilingues, abondamment annotées. Les Dominicains (pas les Jésuites) sont les artisans de cette nouvelle présence de saint Thomas dans les librairies. De même ce sont certains couvents dominicains (pas tous cependant), et non les couvents jésuites, qui publient des revues où l’étude de saint Thomas est à nouveau à l’honneur. Le P. Bonino, qui dirige la vénérable Revue thomiste depuis 1991, déclare à L’Homme nouveau sa volonté de «manifester [à travers sa revue] la fécondité des principes du thomisme dans les débats philosophiques et théologiques contemporains. […] assurer la présence, dans le monde francophone, d’un thomisme vivant, fidèle à son identité génétique et ouvert à une croissance homogène.»

Encore faut-il, ensuite, que le thomisme, illustré par des articles de revue et par des livres, enseigné dans certains couvents d’études, redevienne la base de l’enseignement dans tous les séminaires et tous les couvents d’étude.

On signalera encore que le P. Bonino, qui est membre de la Commission théologique internationale et de l’Académie pontificale de saint Thomas d’Aquin, est chargé de coordonner la rédaction d’un document romain sur la Loi naturelle qui devrait être publié dans les prochains mois et rappeler, contre le subjectivisme et le relativisme, qu’il existe, selon la récente expression de Benoît XVI, une «norme écrite par le Créateur dans le cœur de l’homme» qui lui permet de distinguer le bien du mal.

Yves CHIRON

samedi 11 octobre 2008

[Présent] L’Eucharistie vue par la Conférence des évêques de France

Présent du 11 octobre 2008
La Conférence des évêques de France s’est dotée d’un nouveau portail électronique (Eglise.catholique.fr). Après avoir acheté un nouveau, et luxueux, édifice — 15 millions d’euros —, pour y établir son siège, la Conférence des évêques de France a pu engager un budget de 120 000 euros pour remplacer son précédent site (cef.fr).
On nous dit que ce nouveau site est plus « moderne » et bénéficie d’une meilleure « qualité rédactionnelle». Il offre, notamment, un « Lexique » où l’on peut trouver des définitions, simples, des différents éléments de la foi chrétienne et de la vie dans l’Eglise.
Pour tester ce nouvel instrument de communication de l’Eglise catholique en France, j’ai entré le mot « Messe ». J’ai trouvé la très courte définition suivante : « Dans la religion catholique, appelée aussi Eucharistie, célébration du sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ présent sous les espèces du pain et du vin. L’Evêque et les prêtres sont les célébrants habituels de l’Eucharistie.»
Passons sur l’étrange « habituels » : y aurait-il d’autres « célébrants » possibles de l’Eucharistie ?
Le Catéchisme de saint Pie X enseignait aux enfants une définition plus claire de la Messe : « La sainte Messe est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ que le prêtre offre à Dieu sur l’autel sous les espèces du pain et du vin, en mémoire et renouvellement du sacrifice de la Croix.»
Pour le portail de la Conférence des évêques de France (au mot «sacrifice »), « l’unique sacrifice du Christ [est] rappelé dans chaque Eucharistie ». Simplement « rappelé» ou « renouvelé » par le ministère du prêtre ? C’est la doctrine de la messe qui est changée selon les mots qu’on emploie pour la définir. On ne cherchera pas, dans le « Lexique » de la foi chrétienne proposé par les évêques de France, les mots «propitiation » ou « satisfaction pour nos péchés ».
Dans une autre rubrique du portail, « Foi et vie chrétienne », on trouve une présentation plus développée des sacrements. Les pages sur l’Eucharistie sont, elles aussi, faiblardes ou déficientes. Faiblardes,parce qu’on aurait aimé y trouver, dans la partie «Eclairage », quelques grands textes patristiques ou théologiques. Au lieu de quoi on lit la réflexion d’un professeur à l’Institut catholique de Paris sur « Eucharistie et partage », c’est-à-dire « le rapport entre le rite et l’éthique ».
Mais ces pages sur l’Eucharistie sont surtout déficientes par les nouvelles définitions de la messe qui y sont données : «L’Eucharistie, ou la messe, est un rappel de la dernière Cène, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. » On nous a dit juste avant : « C’est une actualisation de la Pâque et non pas sa répétition ou son simple souvenir. »
Que comprendra le simple fidèle à ce salmigondis ? Que retiendra-t-il ? La messe n’est pas un « souvenir » mais un «rappel ». Quelle est la différence? La messe n’est pas la «répétition » du sacrifice du Christ,mais son « actualisation » dit le portail des évêques. Pourquoi ne pas s’en tenir aux définitions classiques et aux mots traditionnels mémoire et renouvellement non sanglant ?
On pourra objecter que les pages épiscopales sur l’Eucharistie renvoient, dans une « fenêtre », au Catéchisme de l’Eglise catholique. Ouvrons cette fenêtre. On n’y trouve que la première des sept parties du CEC sur le sujet, celle qui parle en termes plus généraux de l’Eucharistie. Soit seulement quatre paragraphes (§1324 à §1327) sur la centaine que le CEC contient sur l’Eucharistie (§1322 à §1419).
En ouvrant le portail épiscopal, on ne trouve donc pas les définitions du CEC sur la messe comme sacrifice offert par le Christ « par le ministère des prêtres », « en réparation des péchés des vivants et des défunts et pour obtenir de Dieu des bienfaits spirituels ou temporels ».
Le CEC, bien sûr, définit clairement le mystère qui s’opère par les paroles du prêtre : « Par la consécration s’opère la transsubstantiation du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Christ. Sous les espèces consacrées du pain et du vin, le Christ Lui-même, vivant et glorieux, est présent de manière vraie, réelle et substantielle, son Corps et son Sang, avec son âme et sa divinité » (§ 1413).
Le lexique du portail de la Conférence des évêques de France comporte, lui aussi, une définition du mot «Transsubstantiation », mais en ajoutant : « Aujourd’hui, les catholiques préfèrent utiliser l’expression “présence réelle” ».
Oui, l’expression est plus simple, mais la doctrine y est moins précisément définie. Les protestants luthériens, eux aussi, parlent de « présence réelle » (« le vrai corps et le vrai sang du Christ sont, en toute vérité, présents dans la Cène sous les espèces du pain et du vin » art. X de la Confession d’Augsbourg, 1530). Mais cette « présence réelle » des protestants n’est pas la « présence réelle » des catholiques.
La Conférence des évêques de France, dans son nouveau portail électronique, n’est pas sortie du minimalisme qui conduit souvent à l’équivoque.
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Yves Chiron

samedi 20 septembre 2008

[Présent] Et maintenant, le catéchisme

Présent du 20 septembre 2008

Sur la liturgie, lors de son dernier voyage apostolique en France, Benoît XVI a agi en actes et en paroles. Par les messes qu’il a célébrées à Paris et à Lourdes, le Pape a commencé à montrer aux évêques, aux prêtres et aux fidèles français dans quel esprit il entendait la restauration de la liturgie célébrée selon le « rite ordinaire ». A ces actes, s’est ajoutée la parole : une partie du discours de Benoît XVI aux évêques de France réunis à Lourdes, le dimanche après-midi, a été consacrée à la liturgie.

Après la dévastation de la liturgie, opérée pendant le concile Vatican II et après le Concile (mais cette dévastation n’est pas née des textes du Concile), la restauration est en marche, même si l’œuvre est loin d’être achevée.

Il y a eu une dévastation parallèle, et même antérieure, du catéchisme. Dans le cas français, elle commence dans l’immédiat après-guerre. Elle trouve un premier point culminant dans ce qu’on a appelé la crise du « catéchisme progressif » (1957). Le Saint-Siège y a mis alors un coup d’arrêt. Le deuxième point culminant est la diffusion, dix ans plus tard, d’un « Fonds obligatoire » à l’initiative des évêques français. Le troisième et dernier point culminant a été Pierres Vivantes, le « recueil catholique de documents privilégiés de la foi » publié par les évêques de France en 1981.

On peut parler de dévastation du catéchisme en ce sens que les nouveaux catéchismes officiels n’enseignaient plus les trois connaissances nécessaires au salut : le Credo, ce qu’il faut croire ; le Pater, ce qu’il faut désirer ; les Commandements, ce qu’il faut faire ; cette instruction religieuse étant complétée par l’explication des sacrements.

En 1957, c’est le doyen de la faculté de théologie d’Angers, Mgr Lusseau qui, dans la Revue des cercles d’études d’Angers, mena principalement le combat contre la nouvelle catéchèse. En 1967 et 1968, ce furent des prêtres (l’abbé Barbara et l’abbé de Nantes, par leurs conférences, l’abbé Berto ailleurs) et des laïcs qui prirent la défense du catéchisme traditionnel. Jean Madiran réédita le Catéchisme de S. Pie X dans un fort numéro de sa revue Itinéraires (n° 116, sept.-oct. 1967). Il le faisait à l’intention des familles, des écoles, des communautés qui sont privées « pour une raison ou pour une autre » d’un catéchisme authentique.

Sa réédition du Catéchisme de S. Pie X s’ouvrait par ces lignes qui restent lumineusement vraies : « A chaque époque l’avenir du christianisme est dans l’enseignement de la foi aux petits enfants. A chaque époque l’avenir du monde dépend de la pédagogie chrétienne. » Cette édition de 1967 sera suivie de nombreuses autres réimpressions et rééditions. Des générations de fidèles, deux au moins, ont été formées par ce Catéchisme réédité à l’initiative d’un laïc.

Le 21 octobre 1972, ce sera sa lettre publique à Paul VI : « Rendez-nous l’Ecriture, le catéchisme et la messe. » Sur le point précis du catéchisme, Jean Madiran demandait, respectueusement : « Rendez-nous le catéchisme romain : celui qui, selon la pratique millénaire de l’Eglise, canonisée dans le catéchisme du Concile de Trente, enseigne les trois connaissances nécessaires au salut (et la doctrine des sacrements sans lesquels les trois connaissances restent ordinairement inefficaces). » Deux ans plus tard, cette supplique sera réitérée et appuyée par vingt-cinq écrivains et personnalités dans le volume Réclamation au Saint-Père (NEL, 1974).

Les réponses de Rome

La réponse de Rome viendra dix ans plus tard, par les conférences sur « la crise de la catéchèse » données par le cardinal Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi depuis quatorze mois seulement. En janvier 1983, à Paris puis à Lyon, le cardinal Ratzinger, a déploré, en matière de catéchèse, la subordination de « la vérité à la praxis » et l’« anthropocentrisme radical ». Il a rappelé la nécessité d’une structure du catéchisme en quatre parties, « quatre pièces classiques et maîtresses » qui « ont servi pendant des siècles comme dispositif et résumé de l’enseignement catéchétique » : « ce que le chrétien doit croire (Symbole), espérer (Notre Père), faire (Décalogue), et dans quel espace vital il doit l’accomplir (sacrements et Eglise) ».

En 1992, avec le Catéchisme de l’Eglise catholique, Jean-Paul II a voulu donner un « texte de référence pour une catéchèse renouvelée aux sources de la foi ». Le Compendium, donné par Benoît XVI en 2005, est de même nature. Ces deux ouvrages de référence, précieux et réconfortants, ne remplacent pas, pourtant, le catéchisme pour enfants qui n’existe plus depuis plusieurs décennies. Le CEC a été conçu comme un « texte de référence sûr et authentique », destiné en particulier à « l’élaboration de catéchismes locaux ». Le Compendium n’est pas, lui non plus, destiné aux enfants, aux commençants qui ont besoin d’être instruits dans la foi. Il propose « une sorte de vade-mecum qui permette aux personnes, croyantes ou non, d’embrasser d’un regard d’ensemble la totalité du panorama de la foi catholique ».

Les longues réponses aux 598 questions qui constituent le Compendium ne sont pas susceptibles d’être enseignées telles quelles aux enfants, apprises par cœur et assimilées. Il manque encore un Petit catéchisme universel ou, au moins en France, les petits catéchismes locaux (diocésains) qu’espère le Saint-Siège.

Curieusement, malheureusement même peut-on dire, la « bataille pour la messe » a laissé au second plan ou, même, a fait négliger la nécessaire bataille pour le catéchisme. Jean Madiran le fait remarquer dans son indispensable Histoire du catéchisme (Consep, 2005) : « C’est au bouleversement de la messe qu’ont été plus directement sensibles les prêtres et les fidèles réfractaires aux innovations brutalement imposées, à partir de 1965-1967, au nom de l’“esprit du concile” ; publiquement, ils se sont moins occupés du débat sur le catéchisme. »

Des associations, des groupes de fidèles sont actifs pour obtenir qu’une messe selon le rite traditionnel soit célébrée dans leur paroisse ou, au moins, dans leur diocèse en accord avec leur évêque. Ils donnent là un bel exemple de militantisme chrétien. Mais se préoccupent-ils assez de l’enseignement de la foi aux plus petits ? A la messe selon le rite extraordinaire devrait pouvoir correspondre, partout, au même endroit, l’enseignement de la foi aux plus petits selon la forme traditionnelle, requise par le Pape lui-même. Et l’on attend toujours les Catéchismes, universel ou diocésain, et destinés aux enfants, qui viendront remplacer les « Parcours » et autres instruments encore dominants dans les paroisses françaises.

YVES CHIRON

samedi 13 septembre 2008

[Présent] Les choses que Benoît XVI veut nous dire

Présent, 13 septembre 2008
Benoît XVI occupe le siège de Saint-Pierre depuis trois ans et cinq mois. Son élection fut « une immense déception pour d’innombrables personnes » a dit le théologien progressiste et moderniste Hans Küng (interdit d’enseignement par Jean-Paul II, rappelons-le). Pourquoi une « déception » ? Parce que Hans Küng savait bien que ce pape, qu’il a connu comme théologien et professeur d’université en Allemagne, ne serait ni un novateur, au sens où lui entend la nouveauté, ni un « progressiste ».
Alors que Benoît XVI accomplit son premier voyage officiel en France, un ouvrage mérite de retenir l’attention parce qu’il est perspicace et honnête. Il est dû à la plume de John L. Allen, correspondant à Rome de la revue National Catholic Reporter et spécialiste du Vatican pour CNN, la grande chaîne américaine d’informations. C’est un vaticaniste ou vaticanologue reconnu, un des rares journalistes qui puisse se prévaloir de cette qualité au nom un peu barbare — ils sont quatre ou cinq dans le monde, les autres sont presque tous italiens.
John L. Allen saisit bien une des qualités de Benoît XVI : le pape est l’ennemi des décisions précipitées. Son temps n’est pas celui du monde moderne, c’est le temps de l’Eglise, déroutant pour les impatiences humaines : « Il y a chez lui, écrit Allen, une sérénité, une absence de ce que les Allemands appellent Angst (“angoisse“), qui est enracinée dans une conviction : l’acte final de l’histoire dans laquelle nous sommes tous impliqués a déjà été écrit, et cette histoire se termine bien. Il ne ressent donc pas le besoin de passer sans cesse d’une initiative à la suivante, ni de résoudre d’un seul bond tous les problèmes de l’Eglise. Mieux que la plupart de ses contemporains, il comprend les complexités de ces difficultés, à la fois sur le plan intellectuel et sur le plan pastoral, et il se rend compte aussi qu’il est important de réfléchir de façon approfondie avant de prendre des dispositions aux conséquences imprévues.
Dans un monde impatient, Benoît XVI est un homme très patient. Pour paraphraser saint Augustin, il arrive que l’absence même d’actions de sa part constitue une “parole “ importante pour les femmes et les hommes tourmentés de son époque. »
La vertu ce patience est donc une des caractéristiques de Benoît XVI, une des Dix choses que Benoît XVI veut nous dire (selon le titre de l’ouvrage de John Allen que les éditions Parole et silence publient). On n’énumèrera pas les neuf autres « choses » que, selon Allen, le Pape a à nous dire.
On peut aussi tenter de résumer la politique pontificale de Benoît XVI (du moins, telle qu’on l’a pu la voir en œuvre jusqu’ici et en reprenant ses expressions) en trois axes :
• le combat contre le relativisme, c’est-à-dire « l’idée selon laquelle, en donnant une valeur indistincte à tout, on assure la liberté et la libération de la conscience » ;
• la restauration de la liturgie de l’Eucharistie comme acte d’adoration et d’offrande, acte salvateur « au cœur de la vie de l’Eglise » ;
• le nécessaire engagement des chrétiens dans la vie de la cité non pour seulement témoigner mais pour « retrouver la capacité du non-conformisme, c’est-à-dire la capacité de s’opposer à de nombreux développements de la culture environnante. »
Benoît XVI est un pape théologien, il a été longtemps professeur de théologie et il a publié une œuvre importante (à laquelle, depuis qu’il est pape, il a ajouté d’autres titres). Mais à la différence d’autres théologiens de son temps et de son aire linguistique – Küng, Balthasar ou Rahner –, il n’a pas prétendu construire un système nouveau ou proposer une vision nouvelle du christianisme. Sa théologie a toujours été d’abord une catéchèse : un enseignement destiné à éclairer et à faire grandir dans la foi. Le théologien Joseph Ratzinger théologien devenu le pape Benoît XVI (et encore plus depuis qu’il est Benoît XVI, si l’on peut dire) a le souci de présenter aux fidèles, comme à ceux qui le sont moins ou pas du tout, « la folie de la vérité » du christianisme : c’est le meilleur « service » que l’Eglise puisse rendre au monde. Il l’écrivait en 1982.
Yves Chiron